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sur les plateaux d’Artois, sur la Lys même, autant que sur la Marne et les plaines de Champagne ; mais, dans son esprit, cette masse de réserves est destinée au moins autant à l’offensive qu’à la défensive. Il a indiqué longuement à ses lieutenants le mode de parade qui lui parait propre à déconcerter l’attaque, soit en la prévenant, soit en l’enrayant ; mais il sait qu’il a en réserve les armes offensives les plus terribles : voici que se sont fabriqués par centaines les chars d’assaut et les avions ; deux officiers dont les noms doivent être en toute justice écrits ici, le général Estienne, le général Duval ont fait, l’un des chars d’assaut, l’autre des avions, les plus sûrs instruments de la future victoire. Si redoutables qu’ils se soient déjà montrés depuis le début du printemps dans nos contre-attaques, ils le sont singulièrement plus en ce début de l’été 1918, parce que ces chefs leur ont forgé une tactique et assuré par là leur place formidable dans une grande bataille offensive [1]. Et tandis qu’il indique la parade de l’attaque, Foch sent dans sa main l’instrument qui lui permettra de passer d’une façon foudroyante de cette parade à la riposte. Et, ayant l’instrument, il sait où, tout d’abord, il l’engagera.

Le champ de bataille, modifié pendant tout le printemps par les offensives heureuses des Allemands, offre, en ce début d’été, l’aspect le plus singulier. L’ennemi a creusé des poches profondes, mais, n’ayant pu les unifier, il y reste engagé, persuadé

  1. Le cadre de cette étude m’empêchera de faire mention, au cours des pages qui vont suivre, autant que je le voudrais, des exploits et des services de l’aviation. Elle avait, certes, depuis le début de la guerre, joué un rôle précieux. Mais ce n’est qu’à la fin du printemps de 1918, que nous la voyons se constituer en un outil tactique méthodiquement employé. Confiée depuis six mois au colonel puis général Duval, l’aviation sortait de ses mains non seulement fortifiée et magnifiée mais organisée, et dès les premières batailles défensives, encore que l’œuvre fût incomplètement accomplie, elle avait rendu des services tout nouveaux. La nouvelle division aérienne, formée de deux brigades dont chacune comptait escadres de bombardement et escadres de combat, avait reçu comme chef l’homme qui en avait préparé l’organisation, le général Duval : devenu par la suite aide-major général, il en passera dans le courant de l’été, le commandement au colonel de Vaulgrenant, sans cesser d’en diriger de haut l’emploi la lecture des ordres et comptes rendus de la division aérienne édifie sur la part considérable qu’elle a prise à l’énorme bataille de juillet-novembre. Se transportant, à la veille de chaque grande attaque de nos armées, derrière le champ de bataille ou cette attaque va se déclencher, la division aérienne remplira non seulement la mission de renseignements à laquelle on l’a toujours vue se consacrer mais accompagnera et généralement précédera l’attaque : bombardant les arrières ennemis, coupant les voies de communication, abattant les observateurs ennemis, livrant au-dessus de la bataille terrestre une véritable bataille aérienne, elle attaquera sans timidité les troupes allemandes « au sol ; « dès le 5 juin, on verra un prisonnier du 109e d’infanterie déclarer que sa seule compagnie a perdu le 31 mai, par bombardement d’avions, 40 hommes ; je citerai à son heure le témoignage d’un soldat qui a vu toute sa division « anéantie » par la fameuse attaque de nos escadres aériennes. Celles-ci ne « balaient » pas seulement le ciel, suivant l’expression consacrée, mais parfois la terre, et son « activité au sol, » — c’est le terme employé, — vaut son « activité aérienne. » Que son « plafond » soit, du fait du temps, haut ou bas, elle reste redoutable, et si je ne peux insister sur sa participation dans chaque bataille, c’est que, le lecteur le sait, je me suis interdit d’abandonner les grandes lignes de la grande bataille. Je pourrais en dire autant de l’artillerie et du génie dont le rôle sera, je l’espère, l’objet d’études spéciales. Nos armes savantes étaient, à la fin du printemps 1918, arrivées à un haut degré de perfection. Et quant aux chars « lourds » ou « légers, » « l’artillerie d’assaut, » je dirai peut-être un jour quelle impression profondément rassurante m’avait laissée, à la fin de juin 1918, une visite bien passionnante faite au fameux camp de Bourron où le général Estienne, figure si originale et si forte, créateur de l’arme, obtenait d’elle des progrès tous les jours plus merveilleux. Avions et chars apparaîtront au cours de ces études, mais bien rapidement, et il était juste de dire dès maintenant d’un mot quelle influence allait avoir sur notre victoire l’emploi des deux redoutables armes.