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vieux tronc, devait rendre au Sénat une vigueur nouvelle.

Celui qui sut réussir en temps opportun cette délicate opération, fut Vespasien. La terrible guerre civile qui se déchaîna dès la mort de Néron eut enfin raison de l’égoïsme invétéré et de l’esprit exclusif de l’antique aristocratie. Le danger était apparu trop grave ; tous les hommes de bon sens comprirent qu’il fallait renouveler et renforcer le corps politique auquel il appartenait de choisir et d’aider les empereurs ; et Vespasien put accomplir sans trop de difficultés la grande réforme qui, quelques années auparavant, eût été impossible. Les historiens de l’antiquité nous racontent qu’ayant assumé l’autorité de censeur, il choisit mille familles parmi les plus importantes des provinces, et les inscrivit dans l’ordre sénatorial et dans l’ordre équestre, les fit venir à Rome et reconstitua de fond en comble l’aristocratie romaine. Pour cette réforme, Vespasien mérite d’être considéré comme le second fondateur de l’Empire, après Auguste ; car il sut ainsi rendre à l’Empire une aristocratie nouvelle, sous bien des rapports supérieure à l’ancienne. Venant des provinces, cette aristocratie était plus économe, plus simple et de mœurs plus austères, plus active, plus sérieuse et surtout plus dévouée à la grande tradition romaine, républicaine et aristocratique, que ne l’était la vieille aristocratie originaire de l’Italie, qu’avaient gâtée les guerres civiles, le succès, la richesse et la paix du premier Empire. Par une de ces surprises dont l’histoire est pleine en ses caprices mystérieux, les petits-fils des Gaulois, des Espagnols, des Africains, vaincus par Rome, furent plus vraiment Romains que les descendants de ces familles de l’Italie centrale qui avaient conquis l’Empire ! L’esprit de Rome, moribond en Italie, revivait dans les provinces.

Tacite, Pline l’Ancien et Pline le Jeune en littérature, Trajan et Hadrien en politique, représentent cette nouvelle aristocratie provinciale qui, avec sincérité et fermeté, appliqua dans le gouvernement de l’Empire les principes politiques et moraux de la République, sachant les adapter à la nouvelle situation du monde, les conciliant avec l’art et avec la philosophie de l’hellénisme, créant par cette fusion du romanisme et de l’hellénisme la véritable civilisation de l’Empire. Le siècle durant lequel cette aristocratie gouverna le monde put jouir d’une grande tranquillité et prospérité parce que l’autorité du