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bourgeois trop riches. Dans la cour intérieure de ces forteresses, entourée de loggie, on se serait cru dans un bazar d’Orient. Les marchandises s’y étalent : draps, soieries, lainages linge de table, quincaillerie, épicerie, parfums. Des chevaux s’ébrouent dans de vastes écuries. Les maîtres habitent les étages supérieurs. Leurs chambres, bariolées de peintures seraient très sombres, si on ne laissait ouvertes les fenêtres tendues de parchemin ou de papier huilé. Les sièges sont hauts et larges ; les coffres, sculptés ; le lit, monumental. Des odeurs d’ail et d’oignon et d’épices exotiques s’échappent des cuisines et se mêlent dans l’air aux effluves des lourdes essences.

Les hommes que vous en voyez sortir, un manteau de drap ou une peau de bête attachée à leur épaule et recouvrant leur armes, sont connus sur tous les marchés de l’Europe. A Londres ils se sont bâti des palais ; à Paris, ils ont pignon sur rue ; dans les villes de Champagne célèbres par leurs foires, on se montre du doigt ces négociants qui vendent des soieries d’argent et d’or des pelleteries, des épices, et qui font surtout le commerce de monnaies. Leurs étaux de changeurs s’ouvrent à Provins autour de l’église du Prieuré de Saint-Ayoul, à Bar-sur-Aube autour de l’église de Saint-Maclou. Ils possèdent des comptoirs à Troyes et à Lagny. Ils introduisent partout la science de la banque, car les changeurs sont les banquiers d’alors. Sous le terme générique de Lombards, on les confond avec les autres Italiens. Mais ils sont les plus forts, étant les banquiers de la Curie romaine. Le Pape les soutient près des rois et des comtes. Au besoin, il jette l’interdit sur leurs débiteurs récalcitrants. Ses foudres servent d’égide à leurs opérations financières. Ils prêtent aux particuliers et aux villes, aux princes et aux dignitaires de l’Eglise. Les comtes de Champagne leurs octroient des privilèges. Cependant on les déteste à cause de leur avarice et de leurs fraudes. Ils ne se contentent pas de quinze pour cent qui est l’intérêt presque légal aux foires de Champagne ; et, parmi tant de monnaies diverses, dont la forme, le poids, le titre et la valeur varient d’une ville à l’autre on les accuse de trafiquer sur les pièces de mauvais aloi. On leur en veut aussi de leurs grands airs. Ces Tolomei ne se flattent-ils pas de descendre des Ptolémées ? Les Piccolomini se réclament de leur ancêtre Porsenna. Les Salimbeni et les Buonsignori sont issus de ministres impériaux. L’éclat de leur lignage m