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Cecco répondit injurieusement à l’exilé : « Si je dine chez les autres, toi, tu y soupes. Si je mords la graisse, toi, tu suces le tard... J’en pourrais dire davantage, Dante Alighieri, et tu demanderais grâce, car je suis l’aiguillon et toi le bœuf. »

Il représente l’esprit satirique des Siennois et leur fureur de plaisir, comme, un siècle plus tard, Gentile Sermini, le plus siennois des conteurs de Sienne. Nous ne savons rien de sa vie à celui-là. Mais il sort de son livre des rumeurs de foire et des éclats de rire. Vous pourrez suivre en l’écoutant le jeu de la pugna, quand les deux camps de boxeurs luttaient à qui pousserait l’autre hors de la place. Sermini, avec cette ivresse rabelaisienne qui obéit au rythme, a rempli cinq grandes pages de tous les cris, exclamations, interjections, exhortations, applaudissements, sifflements, glapissements, hurlements dont la Piazza del Campo bouillonnait comme une cuve de clameurs. L’effroyable hourvari devait cesser au signal. Alors, de toutes les fenêtres on jetait sur les combattants de l’eau glacée, et, si l’eau ne suffisait pas, des pierres. Malgré les yeux pochés et les dents brisées, la bataille se terminait par des danses. Les farces, les beffa, n’étaient pas moins violentes que les jeux. Celles que nous raconte Sermini s’exercent le plus souvent aux dépens des campagnards dont les citadins se gaussaient parce qu’ils étaient ladres et suffisants et souvent plus riches qu’eux.

Ses nouvelles libertines sont la partie la moins siennoise de son œuvre. Elles ressemblent à celles de tous les imitateurs de Boccace, mais quelques-unes avec plus de verve et de fantaisie. J’avoue que l’histoire de la Montanina m’a paru, dans. ce genre, une des plus amusantes. C’est la situation bien connue du mari qui revient en pleine nuit au moment où sa femme allait le tromper. L’amant se cache dans un coffre. La Montanina, sage et prudente, absorbe un breuvage dont les effets lui donneront lentement les apparences de la mort, et, quand elle ouvre au mari, pâle, défaillante, presque à l’agonie, il n’est que temps de courir chercher le notaire et les deux frères de San Domenico qu’elle réclame. Le notaire reçoit son testament : « Je désire que mon corps repose à San Domenico dans le caveau de famille de mon mari ; je lui lègue ma dot ; mais je tiens à ce qu’on enterre avec moi ce coffre où j’ai serré tout ce qui me vient de ma tendre et benoîte sœur. » Le notaire parti, son mari écarté, elle se confesse à Frère Ramondo et lui dit :