Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 53.djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

longtemps leur fidélité avait saisi les occasions de s’affirmer.

Voilà ce qu’il fallait répéter à nos alliés et associés, jusqu’à ce qu’ils l’eussent entendu. Comment se seraient-ils interdit d’effacer. pour une année de plus, une injustice aussi certaine ? Comment auraient-ils tracé, dans l’histoire, une ligne au delà de laquelle les revendications ne remontent pas, alors qu’ils ressuscitaient la Pologne de 1772 et la Bohême de 1526 ? Surtout, comment n’auraient-ils pas compris que, de 1815 à 1919, la situation était retournée ? Tandis qu’en 1815 on pouvait prendre avec une apparence de raison des mesures de préservation contre les agressions et les menaces du prosélytisme révolutionnaire et de l’impérialisme napoléonien, tout au rebours, en 1919, n’était-ce pas contre les agressions et les menaces du Reich' allemand que l’on devait chercher et trouver des garanties ? Peut-on penser que les événements, — et quels événements ! — ne les aient pas instruits, et qu’ils ne se soient pas convaincus que ce qu’on avait pris au Congrès de Vienne pour un chef-d’œuvre de politique s’était révélé, à la longue, comme la plus lamentable et la plus formidable erreur ?

Mais l’expérience profite peu ; une faute ne guérit pas d’une autre, et, après une erreur, il reste toujours une erreur à commettre. La Conférence de Paris en a commis une, le Congrès de Versailles en consacre une, au prix de laquelle l’abandon de Landau et de Sarrelouis n’est qu’un détail sans importance. Ni nos collaborateurs, ni nous-mêmes, nous ne nous sommes lassés de la dénoncer à cette place et à toutes les pages de la Revue. Nous avons patiemment, obstinément, fait mieux que de la déplorer après coup ; nous avons essayé, quand il en était temps, de prémunir contre elle. Pour en détourner, nous avons invoqué des arguments de tout ordre, historique, juridique, politique. lis se groupaient en quelque sorte spontanément, se formaient en un faisceau qu’il ne paraissait pas possible de rompre. Et d’ailleurs, à quoi bon tous ces arguments ? N’était-ce pas l’évidence et le bon sens ? Cette nouvelle erreur, aussi redoutable peut-être pour l’Europe du XXe siècle que le fut, pour le XIXe, celle de 1815, elle tient tout entière dans la formule même qu’emploie le protocole du Traité de Versailles : « Et l’Allemagne, d’autre part. »

Par l’usage d’une telle formule, le Traité fait plus que de conserver et de reconnaître le Reich allemand. Il fait de l’Allemagne un bloc, ou, si ce n’est pas lui qui fait ce bloc, il le scelle. Il élève l’Allemagne à une puissance d’unité qu’elle n’avait jamais eue. On n’a invité à Versailles que des délégués du seul Reich allemand ; le Reich seul a