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général Duchêne fut incontinent prévenu ; il prescrivit le dispositif préparatoire d’alerte, puis donna l’alerte aux 11e corps français et 9e britannique.


À une heure le bombardement commença avec une prédominance insolite d’obus toxiques, de Vauxaillon à la région de Reims, sur un front de soixante kilomètres et une profondeur de douze, battant les ponts de l’Aisne et même ceux de la Vesle. Les liaisons téléphoniques furent immédiatement coupées, tandis que la fumée des explosions interdisait l’emploi de la télégraphie optique. De tout cela résultait dès le début une grande confusion.

À 3 h. 40, l’attaque de l’infanterie se déclenchait ; elle trouvait une défense à moitié paralysée par l’asphyxie. Telle circonstance renverse une situation : un terrain tout en plateaux et ravins, s’il ne peut être interdit sur les pentes opposées à l’assaut, devient dix fois plus ingrat pour les unités chargées de sa défense ; l’ennemi s’insinue dans les ravins, tourne les crêtes, s’infiltre aisément. Dès 10 heures, malgré d’héroïques résistances locales, l’Allemand avait enlevé la Ville-aux-Bois, le plateau de Californie, le Chemin des Dames au Nord de Braye et au Sud de Pargny-Filain. À midi, le 11e corps — tandis que des groupes allaient s’y battre avec un courage surhumain jusqu’à 14 heures, isolés et bientôt encerclés — abandonnait les plateaux, l’ennemi sur ses talons, et gagnait l’Aisne. Plus à l’Est, deux divisions allemandes n’attaquant chacune que sur un front de deux kilomètres, ont fait une percée rapide ; nos troupes sont submergées par les vagues que gonflent les renforts incessants de l’ennemi qui, dès 10 heures, était sur l’Aisne entre Chavonne et Concevreux. Un corps allemand (Schmetow) atteignait le fleuve presque en même temps entre Concevreux et Berry-au-Bac, ayant refoulé le 9e corps britannique, d’autant plus vulnérable que la 22e division française, à sa gauche, à moitié écrasée, avait perdu toute liaison avec lui.

L’Aisne du moins eût dû arrêter, — fût-ce pour un temps, — l’avance allemande. Mais, ayant retenu le droit de prescrire la destruction des ponts, le commandant de l’armée le délégua au commandant du 11e corps trop tard pour que celui-ci