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pouvait croire qu’il l’allait dissoudre. Il n’avait entendu que rectifier son front et l’assurer en enlevant jusqu’à la Vesle à son adversaire le double rempart des plateaux de l’Aisne, et, en quarante-huit heures, il avait, — sans pertes sérieuses, dit-on, — atteint et dépassé la Vesle. Il avait voulu une forte diversion : la diversion avait produit, sur un front mal préparé à recevoir le choc, une sorte d’écroulement qui semblait ouvrir, avec l’accès de la Marne, la route de Paris.

Un homme de la 237e division note, le 28 mai, sur son carnet : « Sur la grande route de Reims, entre Festieux et Corbeny, passent en auto l’Empereur, le Kronprinz, Hindenburg et Ludendorff. » Ils s’étaient réunis et ils délibéraient. On saura un jour les termes de cette conférence. Il est dès aujourd’hui aisé d’en deviner les conclusions. Elles allaient modifier, du tout au tout, le plan allemand — et les suites en seraient incalculables.

Que l’Allemand comptât naguère s’arrêter à la Vesle, il y a peu de doute. « Si initialement le Commandement allemand avait prescrit de poursuivre l’ennemi sans répit ou tout au moins d’atteindre le cours de la Marne, lit-on dans une remarquable étude du 2e bureau du Grand Quartier français sur cette bataille, comment expliquer l’attitude de la 10e division qui, le 28, à 9 à. du matin, rend compte qu’elle a atteint ses objectifs et se forme en profondeur pour repousser la contre-attaque éventuelle [1] ? » Comment concilier en effet l’attitude de cette division, une des plus allantes de l’armée allemande et qui n’a pas subi de pertes, avec les instructions de Ludendorff ainsi conçues : « Les positions et l’artillerie ennemie une fois emportées, le combat prend désormais le caractère de la guerre de mouvement : poursuite de l’ennemi, rapide, ininterrompue. Ne laisser aucun répit à l’ennemi, même pendant la nuit. Ne pas s’attendre les uns les autres ? »

« Poursuite de l’ennemi. » On ne l’avait en réalité, cette poursuite, prévue que jusqu’à la Vesle dont on saisirait les têtes de pont — sans plus. Mais à l’heure où l’irruption allemande semblait ne rencontrer ni obstacle sérieux ni résistance prolongée, ne fallait-il pas en profiter pour exploiter jusqu’au bout, — et ce bout ce serait peut-être la fin de tout, — l’occasion

  1. Cette division était parvenue au sud de Mont Saint-Martin, au delà de la Vesle, entre Fismes et la forêt de Dôle.