Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 53.djvu/942

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trop de préparatifs. Il fallut renoncer aux nappes de gaz et se contenter d’obus asphyxiants. A la bonne heure ! Au moins, il n’y a pas d’hypocrisie. Pour la guerre sous-marine, toute la question est de savoir si cette arme peut donner la victoire. On le prouve : tout est dit, il s’agit d’ « un devoir envers la patrie ». En vain on objecte le droit des gens : à arme nouvelle, droit nouveau. Ludendorff ne sort pas de là, non plus que dans la question des bombardements aériens. A peine admettrait-il que ces pratiques ont pu constituer des fautes, si elles ont eu moins d’avantages que d’inconvénients. Mais il serait difficile de l’en faire convenir : tout était si bien calculé ! les mesures étaient si bien prises ! Du reste, tout ce qu’on reproche à l’armée allemande, en fait d’abus et de pillages, est pure calomnie et fait sourire de pitié. Les territoires occupés fournissent au vainqueur leurs matières premières : « c’est la loi de la guerre. » Ludendorff ne se gêne pas pour dire que, pendant toute l’année 1917, c’est la Roumanie seule qui permit aux Empires centraux de vivre et les remit à flot. Cette condition est sans doute fort dure pour le vaincu, mais qu’y faire ? L’Allemagne a les mains pures et la conscience tranquille. Même les destructions sauvages exécutées au cours de la retraite sur la Somme, pendant la fameuse manœuvre qui porte le nom noir et haineux d’Alberich, ont été faites froidement, avec méthode et pour des raisons positives. Que veut-on de plus ? Tout ce qu’on reproche à l’Allemagne, il faut le reprocher à la guerre. Or la guerre a été « imposée » à l’Allemagne ; quand elle attaque, elle se défend, etc.

Outre ce « document » qu’ils nous offrent sur le caractère de leur auteur, les Mémoires de Ludendorff nous apportent sur les événements militaires des renseignements peut-être encore plus importants. Après un court prologue consacré à la prise de Liège, fait d’armes dont l’essentiel nous est déjà connu, nous voyons l’auteur brusquement rappelé par une note de service dans la Prusse Orientale, où les avant-gardes russes pressent les derrières de l’Allemagne et menacent de prendre ses forces à revers. Elles sont déjà à moins de trois étapes de Koenigsberg. Ludendorff monte dans le train spécial le soir du 23 août, et apprend en route qu’il trouvera à la gare de Hanovre, à 4 heures du matin, son nouveau chef, le vieux général von Hindenburg. Les deux hommes ne s’étaient jamais vus. Ce fut le commencement