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REVUE SCIENTIFIQUE



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AU ROYAUME DE L’INFINIMENT PETIT


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Depuis cinq ans, la plupart des hommes de science avaient quitté les hautes régions de la recherche spéculative pour se consacrer, — chacun suivant ses forces, — à la défense de la patrie. Ici même depuis lors, et parce que nous tâchons de suivre fidèlement le mouvement des idées, ce sont des questions concrètes, des problèmes de technique pratique et de science appliquée qui ont fourni exclusivement les sujets de nos chroniques. La balistique, le repérage des engins ennemis, les explosifs et les poudres, les questions alimentaires, les problèmes de la chirurgie de guerre et bien d’autres questions analogues ont passé successivement sous nos yeux. Et il fallait quelqu’effort d’imagination pour se souvenir qu’elles n’étaient après tout que des reflets, — transformés sur le dur miroir des nécessités vitales, — de ces hautes et sereines études qui s’appellent la mécanique rationnelle, l’acoustique et l’optique, la chimie pure, la physiologie, la biologie.

Maintenant les hommes de science regagnent leur laboratoire familier. Ou du moins, car beaucoup d’entre eux ne l’avaient jamais quitté, ils s’apprêtent à refermer doucement la fenêtre qu’ils y avaient ouverte un moment et qui leur donnait vue sur le champ de bataille. Les tours d’ivoire de la science pure naguère dépeuplées, et abandonnées à leur solitude au milieu des nuages, voient revenir ceux qui les avaient désertées, un peu plus courbés peut-être sous le fardeau de cinq années d’angoisse et avec bien des vides dans leurs rangs ; mais avec toujours au cœur cette flamme ardente de la curiosité, avec toujours cette passion de savoir pour savoir, et non point seulement pour pouvoir, qui ne s’éteint qu’avec la mort quand on en a senti une fois la brûlure exaltante.