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la honte au front des siens. L’orgueilleuse famille de Sid Kasbadji resta sourde à la prière de l’agonisant. Et le pauvre Bédouin s’en alla, emportant sa douleur dans la tombe…

La nuit était venue. Des lumières pointaient en bas sur la ville au milieu des sapins. Le petit bois de cyprès, les collines des alentours dessinaient à la file des dos de dromadaires, caravane fantastique, pétrifiée sous les étoiles.

Les deux amants s’étaient relâchés de leur étreinte. Aïcha la première rompit le silence.

— Sur toi le bonheur, mon ami, dit-elle. Ma mère est seule au gourbi et les djinns voient tout…

Didenn eut un soupir.

— Je le sais… Mais dis-moi, Aïcha… Ces mauvais jours, comment ont-ils passé sur ton cœur ?

Elle s’était enveloppée de son voile. Elle avait soulevé sa cruche, et regardant son bien-aimé une dernière fois dans les yeux :

— Je t’ai revu, et ils ont passé comme un bol de miel !

Elle s’éloigna, transportée, chantant la louange d’Allah pour avoir vécu jusqu’à ce jour, avoir retrouvé cet amour intact, avoir surpris dans le regard de son fiancé la même flamme, le même désir qu’autrefois…

Didenn la suivit quelque temps des yeux. Il la retrouvait femme. Il contempla à son aise la svelte silhouette avec sa cruche à l’épaule qui diminuait sur la route obscure. Plus que jamais, il la voulut pour sienne. À mi-voix, il prononça :

— Je le jure dans cette fin du jour… Je vaincrai tout, et Aïcha sera ma femme !…

Le petit gourbi s’emplissait de gaité. Aïcha s’était mise à chanter :

Brillez, brillez !
Vous tous ne valez que du vent !
Moi, j’ai ma chance belle
Et ma lampe illumine !
Tout ce que le maçon construit
S’élève et tombe.
Tout ce qu’a construit mon rêve,
Tout me réussit !