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d’entendre au sujet de la Schuldfrage est beaucoup plus grave. Je songe au mot curieux que m’a dit l’autre jour un Allemand : « Vous nous avez imposé une paix boche. » J’ai répondu d’abord : « A qui la faute ? il ne fallait pas nous imposer une guerre boche. » Puis j’ai demandé à mon interlocuteur s’il avait jamais osé penser à ce qu’eût été une paix dictée par l’Allemagne victorieuse ; et il n’a rien répondu.

Mais là n’est pas la question. Le fait qu’il importe de constater, c’est que, non plus que les dirigeants d’autrefois, les dirigeants d’aujourd’hui ne souhaitent que le peuple allemand connaisse la vérité sur la guerre, prenne conscience des responsabilités qui lui incombent, et mesure exactement l’étendue des crimes qu’il doit expier et des dommages qu’il doit réparer.

2 août. — M. de N... est un gentilhomme bavarois, agréable, cultivé, un peu sceptique, que j’ai connu autrefois à Rome, dans la maison du prince de Bülow. Ayant appris ma présence à Berlin, il m’a fait exprimer par un tiers neutre son désir d’avoir un entretien avec moi, le jour et au lieu que je choisirais. Etant ici pour m’informer et pour informer le public français, je dois accepter la rencontre : elle a lieu chez la personne qui a servi d’intermédiaire.

Avec une émotion que je crois sincère, M. de N... me parle d’abord de son pays : « Ma pauvre Bavière ! je crains qu’elle ne soit près de sa fin. Après la chute d’une dynastie aimée et respectée de presque tous, la tourmente révolutionnaire et les excès communistes. Après la révolution, l’effort centralisateur et unitariste des gens de Berlin. L’Etat bavarois cessera d’exister ; Munich ne sera plus rien. Le nonce Pacelli ne disait-il pas l’autre jour qu’il ne voyait plus de motif pour maintenir à Munich la représentation du Saint-Siège ?

« Les extrémistes, il est vrai, ont perdu la partie en Bavière. Il leur a suffi d’exercer le pouvoir pendant quelques jours, pour s’attirer une haine et un discrédit qui les poursuivront durant des années. Mais des troubles sociaux sont inévitables. Le Centre a perdu beaucoup de terrain ; les paysans, qui constituaient son plus ferme appui, sont encore catholiques, mais s’écartent des directions politiques d’autrefois. Le Bauerbund (ligue des paysans) penche visiblement vers le socialisme ; le bas clergé lui-même professe des idées très avancées... »