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mande. Il y a toujours au milieu de l’Europe une masse germanique encore dominée par la Prusse. Les conséquences de cet état de fait n’ont pas changé depuis que l’histoire existe. Lamartine jadis, dans une de ces phrases d’une magnifique clairvoyance qui illuminent son œuvre, les a résumées en disant : « Quatre-vingts millions d’Allemands groupés en une seule puissance active contre trente-six millions de Français, unité destructive de tout équilibre et de toute paix, unité de l’extermination : l’unité allemande, que serait-ce autre chose que la coalition en permanence contre la France ? » La guerre a montré que cette coalition dirigée en permanence contre la France l’était en réalité contre le monde entier. N’étant pas protégés contre l’unité germanique par le traité de Versailles, les Alliés ont cherché du moins une autre assurance. L’accord anglo-franco-américain est précisément destiné à préserver la paix contre une entreprise agressive de l’Allemagne : c’est une sécurité donnée à tous les peuples. Il est vrai que cet accord n’est pas encore mis en formule écrites, que la réponse des États-Unis est toujours attendue, que M. Lloyd George a déclaré à la Chambre des Communes que si, d’aventure, l’Amérique ne ratifiait pas cet accord, la Grande-Bretagne serait libre de ses décisions. Mais l’entente des trois grandes Puissances répond si nécessairement aux conditions générales de la politique, elle est si fortement conclue dans les volontés, elle est consacrée si spontanément par les peuples qu’il est permis de la considérer comme acquise. Il y a des circonstances où l’esprit devance la lettre. Les modalités protocolaires de l’accord ont sans doute leur importance ; l’accord lui-mùme est dessiné par les événements. Après qu’ils ont sauvé la liberté universelle menacée par l’hégémonie allemande, les Alliés ont eu le sentiment qu’ils n’avaient pas subi cinq ans de guerre pour laisser demain le monde en face du même péril. Ils affirment que l’Allemagne battue retrouverait, si jamais elle était hantée par le songe brûlai d’une entreprise de domination, les mêmes adversaires rassemblés pour défendre la même cause. Les négociations des gouvernements au cours de l’année écoulée ont eu ce grand résultat qui répond à la nature des choses. C’est le fait politique et moral qui domine dès aujourd’hui l’Europe.

Mais cet accord anglo-franco-américain n’est qu’une assurance. Il rend possible l’avenir ; il ne l’organise pas. C’est une garantie suprême, précieuse à tous les pays et particulièrement au notre : ce n’est pas un instrument d’action. Le danger qu’il écarte peut se présenter ; il n’est pas imminent. L’Allemagne, malgré l’allure de ses