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bientôt au dehors, l’entreprise était découverte et tout était à recommencer. D’autres méditaient des plans d’évasion plus rapides. Je me rappelle un aviateur canadien qui, toutes les nuits, s’introduisait dans ma chambre, ouvrait ma fenêtre, puis notait de là la disposition des abords et les postes occupés par les sentinelles. Mais à quoi bon parler de tout cela, et remuer les souvenirs d’une vie que les récits de ceux qui l’ont connue ont aujourd’hui rendue familière à tout le monde ? Comme je l’ai dit, je n’ai à raconter aucun épisode de marque. J’ai fait, durant mon séjour à Crefeld, ce que faisaient tous les prisonniers de mon âge. Et je n’ai pas eu le temps, comme la plupart d’entre eux, de mener cette existence assez longtemps pour qu’elle perdît pour moi le charme de sa nouveauté et de son étrangeté.

Car mon séjour au milieu des officiers ne devait pas être de longue durée. Évidemment, on m’avait placé là provisoirement et en attendant. Mon sort en Allemagne, comme celui de Fredericq, dont j’avais appris qu’il avait été envoyé à Gütersloh, non loin de Brunswick, dépendait des résultats que notre arrestation aurait produits en Belgique.

On avait compté qu’elle terroriserait nos collègues ; elle ne fit que les indigner et les ancrer plus fermement dans la résistance. Soixante d’entre eux s’adressaient aussitôt au gouverneur général von Bissing, lui remontrant que tous pensaient comme nous et avaient fait ce que nous avions fait. Il leur fut répondu que nous n’avions cessé de fomenter contre l’autorité allemande une agitation illégale et que d’ailleurs leur conduite déciderait de notre sort. Cette tentative de chantage, — il faut bien appeler les choses par leur nom, — révélait curieusement l’impuissance de la violence au moment même où l’on venait d’y avoir recours. Avec quelque finesse et quelque connaissance des hommes, von Bissing eût remarqué tout de suite que l’on avait fait fausse route, que notre arrestation était une faute, et qu’il fallait au plus tôt trouver un prétexte pour nous renvoyer chez nous. Mais appartenant à cette caste militaire prussienne dont la déformation mentale est certainement l’un des phénomènes les plus curieux de la psychologie sociale, il était aussi incapable déjouer la générosité que de l’éprouver. Nos collègues ne pliant pas, il résolut de nous faire porter la peine de leur obstination. Jusqu’alors on n’avait