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qui lui était nécessaire et l’avoir engagé à promener, j’en donnai l’ordre aux Commissaires et les grondai sur la mauvaise tenue de la chambre… Je me rendis au Comité de Salut Public : l’ordre n’a pas été troublé au Temple ; mais le prince est dangereusement malade ; j’ai ordonné qu’on le fit promener et fait appeler M. Dussault (sic). Il est urgent que vous lui adjoigniez d’autres médecins, qu’on examine son état et qu’on lui porte tous les soins que commande son état (sic) ; le Comité donna des ordres en conséquence. »

On le voit : rien n’indique que, pour parvenir jusqu’au prisonnier, il fût nécessaire de convoquer des ouvriers, d’employer le pic ou la tenaille, ni de « desceller » aucune porte : le récit contient, il est vrai, une allusion à la « mauvaise tenue » de la chambre, mais rien encore n’évoque l’idée d’un cloaque où les ordures, les débris de nourriture, les immondices accumulées rendent l’air irrespirable. Si leur auteur n’était le fourbe le plus avéré de l’Histoire, ces quelques lignes suffiraient seules à détruire la légende de la séquestration. En outre, dans cette relation, pourtant si précieuse puisqu’elle émane de celui qui, le premier, a vu le prisonnier après deux cents jours d’une mystérieuse réclusion, il y a des lacunes impardonnables mais certainement voulues : Barras reconnut-il le fils de Louis XVI dans l’enfant qu’on lui présenta ? Il ne le dit point. Il n’était jamais allé à la Cour ; mais il pouvait avoir aperçu le jeune prince dans les jours qui précédèrent le 10 août 1792, et il conçut certainement un doute en trouvant sur ce grabat ce garçonnet mal éveillé, bouffi et ankylosé qui ne pouvait ressembler en rien ni à l’enfant charmant et vif des Tuileries, ni à ses portraits naguère répandus à profusion. Barras, pour s’assurer de l’identité du captif, dut l’interroger avec quelque insistance, et ne se contenta pas de lui demander pourquoi il préférait le berceau au grand lit. Il est singulier qu’il n’aborde pas dans son récit ce point essentiel. Quelque insensible qu’il fût aux souffrances d’autrui, la curiosité, à défaut d’autre sentiment, la surprise de ce qu’il voyait, la vanité de se poser en libérateur, l’incitèrent à prolonger son enquête. Chez Madame Royale, où il monta après sa visite au deuxième étage, il fut beaucoup plus loquace et précautionneux : « Il me parla, m’appela par mon nom, me dit beaucoup d’autres choses… » écrit la jeune princesse, et il prolongea sa visite au point que