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réflexions, » convenant que, « pour l’honneur de la Nation qui l’ignorait, pour celui de la Convention qui, à la vérité, l’ignorait aussi mais dont le devoir était d’en être instruite, ils ne feraient pas de rapport en public, mais en Comité secret seulement : « ce qui fut fait ainsi, » ajoute Harmand. Avant de quitter le Temple et sur la demande de Madame Royale réclamant des nouvelles de son frère, il ordonna que les deux enfants communiquassent ensemble aussi souvent qu’ils le souhaiteraient. « Le gouvernement mit le plus grand zèle à acquitter les promesses que nous avions faites en son nom et à réaliser les espérances que nous avions données ; au moins cela fut arrêté le soir même. Je devais être chargé de l’exécution de ces détails,… mais une intrigue me fit nommer commissaire aux Grandes Indes et je partis peu de jours après, sans savoir si le jeune prince avait parlé dans ses entrevues avec son auguste, sœur, ce qui est probable. » Ainsi le Comité ordonnait que les enfants de Louis XVI « communiquassent entre eux, » et ils ne communiquèrent jamais : il se trouvait donc quelqu’un pour intercepter, en ce qui concernait le Temple, les arrêtés du gouvernement, ou pour les faire annuler.

On ferait peu d’honneur à la perspicacité d’Harmand de la Meuse si l’on hésitait un seul instant à croire qu’il sortit du Temple persuadé de la substitution au Dauphin d’un enfant sourd-muet ; son envoi aux Indes orientales dut le confirmer dans la conviction qu’on l’invitait ainsi à la discrétion. Il se tut donc jusqu’en 1814 et s’il parla à cette époque en termes enveloppés et gros de réticences, c’était à seule fin de montrer qu’il n’était pas dupe, mais qu’il savait garder un secret. Cette habileté ne profita pas à l’ancien Conventionnel : « vers la fin de 1815, il fut trouvé mourant de misère dans les rues de Paris et transporté à l’Hôtel-Dieu où il rendit le dernier soupir. » Quel regret de ne pouvoir estimer complètement digne de foi la seule relation autorisée que l’on possède d’une visite au Temple pour l’époque écoulée entre le départ de Simon et la mort prochaine, du prisonnier ! Quel est cet infortuné dépeint par Harmand ? Un muet ? C’est possible : Barras est assez madré pour avoir recommandé à ses agents d’exécution ce surcroît de précaution. Il y a, en tout cas, une analogie assez frappante entre le récit d’Harmand de la Meuse et la déclaration de Lasne, le dernier gardien du Temple que l’on va voir bientôt entrer en scène,