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Je me sens écrasé par la fatigue immense
De tant de jours Rendus vers de trop vains espoirs…
Il n’est plus de repos pour le monde en démence ;
Pour les cœurs suppliants il n’est plus de clémence :
L’avenir devant nous creuse des gouffres noirs…

On voudrait s’arrêter au talus de la route
Pour respirer la brise et cueillir une fleur…
Mais l’âme ne peut fuir le doute qui l’envoûte ;
Dans une âme plus vaste elle se sent dissoute,
Et toute douleur sombre en la grande douleur…

Endors par ton refrain le refrain de ma peine ;
Chante : nous sommes seuls près du fleuve qui luit…
Jusqu’à l’aube oublions quel destin nous entraine…
Sur une mer de sang mugit un vent de haine :
Où serons-nous demain ? Qui mourut aujourd’hui ?

Je ne veux rien savoir que ton chant et la nuit.


AUTOMNALE


Septembre a prolongé dans les deux crépuscules
Son baiser moite et frais sur le flanc du coteau ;
Aux cieux qu’hier mordait la dent des canicules
Flotte un azur fluide et moiré comme une eau.

Les échos et les cœurs, soudain plus vulnérables,
Au choc de mille bruits qu’ils ne percevaient plus
Tremblent ; et l’on entend les feuilles des érables
Se froisser, en tombant, au rebord des talus.

Les femmes, au jardin, frissonnent sous des châles,
Et, l’esprit obsédé d’on ne sait quel secret,
Croisent sur leurs genoux des mains longues et pâles
Où l’oblique réseau des veines transparait…

Te voilà donc, avec ton brouillard et tes larmes,
Ton front nueux chargé de taches de rousseur,
Tes regards alourdis de leurres et de charmes,
Tes espaces vibrants et ta feinte douceur,