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l’auteur, même ici, tient à son expression — de « flâneries » commémoratives. Tout le long du chemin, conduit par le plus attentif et le plus pieux des guides, de Saint-Etienne du Mont, à Saint-Jacques du Haut-Pas et à Saint-Médard, des Granges à Magny, de Maubuisson à Lénas, ils pourront apprécier « combien Port-Royal a enrichi le fonds moral et le fonds littéraire de la France. » Tout leur parlera, les vallons et les bois, les sanctuaires, même ruinés, peut-être surtout ruinés, et jusqu’aux pierres des tombeaux. Ils déchiffreront des épitaphes dont le style et l’accent révèlent l’esprit même des morts dont elles rappellent les mérites. Dans le masque de cire de la Mère Angélique, ils ne reconnaîtront pas sans émotion le visage sévère et glacé de la grande abbesse, avec son expression, plus forte que la mort, « d’indomptable énergie et de rude charité. » Quelques pages, ou quelques lignes seulement sur Philippe de Champagne suffiraient à montrer quel artiste est M. Hallays, ou plutôt comment il est artiste. Devant le double portrait du Louvre (la Mère Agnès et la sœur de Sainte-Suzanne), il semble moins touché par la beauté que par l’objet de la peinture, par la représentation, vivante ici, de l’idée ou du génie janséniste, et par l’assurance que cette image nous donne que dans la mémoire des hommes le souvenir de Port-Royal ne périra pas. Tout l’esprit de l’austère maison peut se résumer en ce peu de mots de la Mère Agnès : « cette règle est générale pour toutes choses, que plus on ôte aux sens, plus on donne à l’esprit. Tout le plaisir qu’on prend aux choses visibles, diminue d’autant la vie de la grâce. » Ce plaisir, et quelques autres avec, M. André Hallays n’est tout de même pas assez de Port-Royal, il est trop vivant, d’une vie trop libre et trop riche, pour s’en priver. Devant le parfait paysage des Granges, il n’a garde de ressembler à ces personnes dont parle M. Hamon et qui « sont obligées de fermer les yeux, lorsqu’elles prient dans des églises trop belles. » « Nous ouvrons les nôtres, dit-il, pour jouir des nuances de la verdure, de la douceur des ombres, de la majesté de la futaie, car le plaisir que nous prenons aux « choses visibles » nous incline à mieux comprendre la beauté des choses invisibles. » A la bonne heure ! Et ne vous semble-t-il pas que de chercher cette inclination et de s’y plaire, cela déjà peut s’appeler, sans rien ôter aux sens, donner, et donner beaucoup, à l’esprit.