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À ce compte, l’Etat devrait vendre son acier au prix du nickel, et peut-être encore ne serait-il pas sûr de s’y retrouver. On arrive à cette constatation vraiment stupéfiante : les prix de revient en main-d’œuvre et en frais généraux étant supérieurs à ceux du produit, il y aurait intérêt à arrêter la marche de l’usine, tout en payant le personnel pour ne rien faire : cela coûterait peut-être moins cher que de gâcher les matières premières. Pour qui a été à même d’apprécier les méthodes de travail et le rendement de l’usine à laquelle je fais allusion, nul doute n’est permis sur l’incompétence industrielle de l’État. Et c’est de ses forces productrices que l’on prétend attendre la réparation des ruines de la patrie


IV. — L’ETAT ARMATEUR

La construction d’un navire est une opération qui, quelque dispendieuse qu’elle puisse être, s’achève avec le navire. L’exploitation d’une flotte par l’Etat est susceptible au contraire d’entrainer des déficits d’autant plus graves qu’ils se manifestent annuellement. Nous avons exposé dans la Revue les inconvénients de l’armement de navires par l’Etat, à propos de la réquisition générale de la flotte de commerce ; il ne s’agit pas aujourd’hui d’une mesure semblable, mais seulement de la monopolisation de certaines lignes régulières. Rien n’est plus faux à ce point de vue que de vouloir assimiler la situation des transports maritimes à celle des chemins de fer. Les chemins de fer roulent sur une voie qui fait partie du domaine public ; ils jouissent d’un monopole, et personne ne peut leur faire une guerre de tarifs, puisque ceux-ci sont homologués ; les navires, au contraire, sillonnent un champ qui est ouvert à toutes les nations ; ils se trouvent en contact avec tous les pavillons du monde. Ils doivent donc naviguer dans des conditions déterminées qui leur permettent de rivaliser avec leurs concurrents. Comment supposer que l’Etat, après ce que nous venons de dire, puisse soutenir une telle lutte ? En réalité, on ne parait vouloir justifier l’exploitation d’une flotte par l’État que par des raisons politiques, et l’on a déjà soin d’insinuer que, seule, la puissance publique peut soutenir le prestige de notre pavillon à travers le monde. La marine de guerre avec ses canons, la marine marchande avec de luxueux paquebots