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les sources du poème virgilien, on n’aura pas expliqué comment il se fait qu’en mêlant de l’Hésiode, de l’orphisme, des prédictions étrusques, du Catulle et des oracles juifs, Virgile soit arrivé, dans une simple fantaisie, à donner une forme étincelante aux aspirations confuses et angoissées du monde occidental. Deus, deus ille, Menalca ! Un dieu, c’est un dieu, Ménalque !… » Les sources de la pensée virgilienne, certes, ne manquons pas de les chercher, de les examiner ; et ne commettons pas une erreur qui est à la mode et qui consiste à dénigrer l’érudition méticuleuse, parce qu’elle a commis, elle aussi, des erreurs, souvent détestables : sans elle, nous n’entendons rien au passé, difficile à entendre même avec son précieux et indispensable secours. Mais, quant à Virgile, constatons, — et constatons-le comme un fait positif, — que le commentaire de toute son œuvre n’a pas seulement besoin du passé : il a besoin de l’avenir. En d’autres termes, toute l’œuvre de Virgile est tournée vers l’avenir ; et, bien que l’image soit bizarre, c’est le caractère de cette œuvre, elle a ses sources dans l’avenir autant et plus que dans le passé.

Arrivant à l’épopée virgilienne, M. Bellessort écrit : « Nous ne sentirons jamais l’Énéide comme un contemporain de Virgile. » Bref, la signification romaine de l’Énéide nous échappe. C’est qu’en dépit de tout notre soin, malgré les travaux des historiens, des archéologues, des épigraphistes nous ne connaissons pas à merveille et ne connaissons pas comme la nôtre l’époque où écrivait Virgile. On peut en dire autant de l’œuvre des autres poètes et de l’Antiquité ; l’âme de l’Antiquité ne s’est pas anéantie : elle s’est en partie effacée et n’est plus notre âme vivante. Cependant, un Plaute, un Lucrèce et un Catulle nous sont mieux intelligibles, et aisément, que Virgile : Plaute, quoique nous ne sachions pas tout l’arrangement du théâtre chez les Romains ; Lucrèce, quoique nous ne possédions pas tout l’enseignement d’Épicure ; et Catulle, quoique nous n’ayons point un portrait de Lesbie. Mais Virgile, nous devinons que ce n’est pas la découverte de nouveaux documents relatifs au passé, relatifs à lui et à son temps, qui nous l’expliquerait davantage. Voire, il nous semble que nous le comprenons mieux, plus complètement, que n’ont dû le faire ses contemporains. Les siècles ont effacé l’image que ses contemporains avaient de lui : et les siècles ont révélé, continuent de révéler, son génie.

Nous savons très bien d’où il part et que le préambule de son œuvre est dans une époque de souffrances publiques et privées. Il a personnellement subi les tribulations qu’endurait un campagnard et