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individus, appelés à devenir, entre les mains des étrangers, des sujets éternels de haine, de vengeance et de guerre. » Pour conclure, il parla longuement avant d’arriver, après bien des détours, à proclamer que « si Rome eût retenu les Tarquin, elle n’aurait pas eu à les combattre. » On comprit que le petit Capet resterait au Temple ; ou plutôt, on n’y comprit rien, sillon qu’on se trouvait en présence d’un inextricable imbroglio : la preuve en est que Brival, — ci-devant jacobin, mais non des plus farouches, — s’emporta contre cette situation sans issue, criant que c’était bien dommage que, parmi tant de crimes inutiles, on n’en ait pas commis un de plus pour délivrer la République de ce louveteau encombrant. Aussitôt toute la Convention révoltée poussa une clameur unanime d’horreur…

Ce qu’elle ne pouvait deviner, s’affirme aujourd’hui évident : Cambacérès savait que le Dauphin n’était plus au Temple ; mais il savait aussi qu’il n’était pas davantage à Vitry. Ici et là on ne possédait qu’un substitué. Louis Blanc estime que le rapport de Cambacérès « fut précisément tel qu’on aurait dû l’attendre d’un homme initié au secret de l’évasion ; » il est tel aussi qu’on y peut discerner presque l’aveu formel de l’ignorance du lieu où se trouve le fils de Louis XVI, en même temps que d’étranges artifices oratoires préparent l’opinion à la surprise d’une réapparition inattendue : cette phrase, par exemple, semble prémonitoire. : — « Lors même qu’il aura cessé d’exister, ou le retrouvera partout, et cette chimère servira longtemps à nourrir les coupables espérances des Français traîtres à leur pays. »

Si telle était la situation en cette fin de l’hiver de 1795, si l’authentique Dauphin ne se trouvait ni au château de Petitval ni au Temple, ils devaient vivre dans d’étranges perplexités ceux qui, après avoir cru tirer de sa prison un Roi présomptif, s’étaient aperçus qu’ils disposaient seulement d’un figurant dont ils n’osaient se servir, le véritable détenteur du rôle pouvant surgir à tout instant du refuge ignoré où il était terré. Leurs angoisses s’accroissaient de voir l’Enfant de France devenu l’enjeu de la paix européenne : l’Espagne en effet, en hostilités avec la République dès le printemps de 1793, était disposée à terminer la guerre ; depuis quelques mois, des semblants de pourparlers s’étaient engagés aux avant-postes et l’on savait déjà que la Cour de Madrid posait comme