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condamner les expressions innocentes, est prêt d’excuser celles qui, pesées dans l’extrême rigueur, pourraient quelquefois sembler rudes, » ce portrait, c’est Ferry qui avait eu l’honneur de l’inspirer. Cette polémique de 1655 ne les avait pas, d’ailleurs, empêchés de se lier. Une petite ville n’est pas toujours le vase clos où l’on s’aigrit. La cohabitation qui multiplie les rencontres, met les âmes au jour. La placidité lorraine de Ferry avait pactisé avec la bonne humeur de Bossuet bourguignon. Le père de Bossuet, conseiller au Parlement, avait eu sans doute de fréquents rapports administratifs avec le doyen des ministres de Metz, duquel, par l’âge, il était plus proche que son fils. Et père et fils, dans une ville plutôt commerçante et d’affaires, — à qui des historiens locaux reprochaient alors de n’être pas suffisamment athénienne, — avaient plaisir, sans doute, à fréquenter cet esprit cultivé, orateur, théologien, historien, poète même, qui, par sa variété d’aptitudes ressemblait en quelque manière à celui qu’on a appelé « l’homme de tous les talents et de toutes les sciences. »

Nous n’avons pas de peine à comprendre que Bossuet, qui aimait à estimer et à aimer, chantât à la cour les louanges de ce ministre si « fort honnête homme ; » qu’il essayât même de soulager sa vieillesse fatiguée, en lui procurant, dans la personne de son gendre Bancelin, un suffragant que la rigueur des lois lui refusait.

Mais vis-à-vis de ce Protestantisme, dont Ferry était l’avocat, là encore, Bossuet n’avait plus à un aussi haut degré, en 1666, l’attitude combative que nous lui avons vue dix ans plus tôt. En découvrant à Metz la puissance matérielle et morale de l’hérésie, le premier réflexe, nous l’avons vu, avait été naïvement hostile. Mais l’expérience et le milieu avaient agi et atténué. Le peu de succès dans son apostolat chrétien dont, en chaire même, il lui arrive de se plaindre, lui avait fait considérer sans doute avec plus d’indulgence ce qu’il y avait d’ordre et de vertu dans l’Eglise de « ténèbres. » J’oserais dire que si l’on examinait de près les passages des Sermons où Bossuet condamne les « erreurs » protestantes, on s’apercevrait qu’en avançant en âge ce qu’il condamne, c’est moins l’intrinsèque malice et le venin spécial des doctrines que les conséquences déjà vérifiées par lui de l’esprit protestant : l’individualisme et le progrès de la libre pensée.