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me laisser arrêter par ces appréhensions, c’est la conscience d’avoir, pendant sept ans, essayé de demeurer, au milieu des partis, un arbitre dépouillé de toute préoccupation intéressée. Les fonctions mêmes dont j’avais alors la charge m’ont accoutumé à faire silencieusement, lorsqu’il le fallait, le sacrifice de mes opinions À cette école un peu rude, on s’habitue vite à prendre une mesure assez exacte des incidents quotidiens, à tout considérer sous l’aspect national et à tâcher de discerner, par-delà les batailles éphémères, les règles permanentes de la vie publique.

Si, le jour où la guerre nous a été déclarée, l’union de tous les citoyens est immédiatement apparue, à mes yeux, comme la condition essentielle de la victoire, il n’est pas un esprit clairvoyant qui, aujourd’hui encore, ne la juge aussi indispensable à notre relèvement. La conviction de cette nécessité primordiale dominera toutes les appréciations qu’il m’arrivera de porter sur les individus ou sur les faits; et c’est là, sans doute, la meilleure assurance que je puisse donner à ceux qui garderaient quelques préventions contre un revenant de la politique. Devant l’ennemi, nous avons tous réussi à faire taire nos préférences, à oublier nos animosités, et à reconnaître des frères dans des adversaires de la veille. Est-ce pour nous entretuer maintenant que nous avons su offrir hier à l’admiration du monde ce magnifique exemple de concorde? N’avons-nous, en présence d’un péril mortel, cherché et trouvé le salut dans l’unité de la patrie que pour laisser aujourd’hui morceler et décomposer la patrie victorieuse? La victoire elle-même ne résisterait pas à cette épreuve et nous préparerions de nos propres mains à l’Allemagne la plus prompte et la plus éclatante revanche.

Certes, lorsque l’ennemi foulait le sol de dix de nos départements, nous avions tous un devoir élémentaire et précis : expulser l’envahisseur et, puisqu’il nous avait attaqués, le forcer à nous restituer les provinces qu’il nous avait prises. Toutes les volontés étaient tendues dans le même sens et les imaginations n’avaient plus le loisir de s’attarder aux sujets qui nous avaient autrefois divisés. La paix signée, il n’est pas possible que les partis ne se reconstituent pas et ne reprennent pas leurs programmes respectifs. Ce réveil est un signe d’activité nationale et personne ne peut souhaiter que la France tombe en léthargie politique. Mais quiconque réfléchit à l’énormité de la tâche qui nous reste à accomplir comprend sans peine que si, en se reformant, les partis refusaient de se rapprocher, dans la