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Peu à peu, cependant, un bruit a fait le tour du monde : on a partout entendu dire que le traité de Versailles, s’il était jamais appliqué, consommerait la ruine de l’Allemagne. Les propagateurs de cette thèse se sont bornés, d’abord, à représenter que, pour permettre à la nation débitrice de s’acquitter, il fallait, non seulement lui donner les moyens de se ravitailler en produits alimentaires et en matières premières, mais assurer entièrement sa résurrection économique. Puis, par une évolution graduelle, on en est venu à soutenir que les charges prévues au traité étaient accablantes pour l’Allemagne et qu’il était nécessaire de les alléger, dans l’intérêt même de ses créanciers. Toute une littérature de circonstance s’est mise aussitôt à fleurir, principalement chez nos amis anglo-saxons. La révision du traité est devenue le thème favori de quelques journaux. Des ouvrages remarquables, comme celui de M. Keynes, ont accrédité, dans une grande partie de l’opinion, la pensée que les rédacteurs du traité n’avaient pas tenu un compte suffisant des véritables ressources de l’Allemagne. Des hommes politiques de premier rang, qui ont donné, à la France, en maintes circonstances, des preuves d’une amitié sincère, tels que M. Asquith, oui, devant leurs électeurs, proclamé qu’il leur semblait impossible de ne pas réviser le traité. Bref, avant même que la créance des pays alliés et, en particulier, la plus importante, celle de la France, eussent pu être fixées, on a cherché à démontrer qu’il convenait de les réduire ou, comme l’a demandé lord Robert Cecil, de les déterminer tout de suite, sans éléments d’évaluation, et beaucoup plutôt en proportion des prétendues possibilités de l’Allemagne qu’en considération des dommages constatés.

Certes, aucun créancier raisonnable ne peut souhaiter l’épuisement d’un débiteur qui doit se libérer par échelons; et il n’est pas non plus un esprit sensé qui ait l’inhumanité de vouloir condamner à la misère une nation vaincue. Mais, tout de même, il serait équitable qu’avant de pleurer sur le sort de l’Allemagne, nous eussions un regard pour nos régions dévastées. Dans les parties de l’Allemagne où la gêne est le plus grande, les souffrances sont moindres que dans les parties les plus épargnées des départements du Nord et de l’Est. Nos Alliés ne peuvent oublier que ces malheureuses contrées ont été l’immense champ de bataille où se sont jouées, non seulement les destinées de la France, mais celles de l’Amérique et de la Grande-Bretagne. Lorsque les habitants, après plusieurs années d’exil, y sont revenus au milieu des décombres, ils ont trouvé leurs maisons effondrées et ils n’ont pas toujours su si, dans les combats, elles