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triviale, enflée, boursouflée, au dire des puristes du temps, n’en est pas moins devenue classique. Que de fois ce même Voltaire n’a-t-il pas crié casse-cou ! « Si on continue, la langue française, si polie, redeviendra barbare. » On a continué, la barbarie n’est pas venue ; c’est Chateaubriand qui est venu après Rousseau. Et l’indignation de Voltaire est presque comique quand on pense au succès définitif de mots ou d’expressions qu’il condamnait comme abominables. Ainsi la répugnance qu’on éprouve devant le mauvais usage reste légitime, et nécessaire : elle doit être tempérée par cette considération, que la langue ne peut pas ne pas changer ; qu’elle n’évolue généralement pas dans le sens de la pureté ; et qu’il faut bien, de gré ou de force, fléchir au temps…

Rien n’est nouveau, pas même les attaques contre la Sorbonne ; il est entendu aujourd’hui que les maîtres qui enseignent sur la montagne Sainte-Geneviève ne savent pas le français : on leur reprochait, il y a cent ans, d’ignorer le latin. « Dans l’Université de Paris, cet antique héritage des Rollin et des Cuvier, dans ce corps savant qui renferme tant d’illustres professeurs, quelques-uns des principaux chefs poussent l’ignorance de la langue latine jusqu’à ne pas en connaître les premiers éléments. On n’en peut douter, quand la matière des vers donnée aux élèves des différents collèges qui composent pour les grands prix de vers tombe sous les yeux. Dans cette matière, écrite d’un style que désavouerait le plus médiocre écolier de sixième, on trouve un lourd barbarisme : c’est le mot patefiere employé comme impératif du verbe patefio. Quel homme, pourvu qu’il ait ouvert deux fois la grammaire de Lhomond, ignore que ce verbe n’a d’autre impératif que le mot patefi, inusité il est vrai, mais, du moins, formé d’après les règles ? N’est-il pas fâcheux que des erreurs aussi grossières déshonorent les maîtres aux yeux des élèves ? Et on sait qu’aujourd’hui la jeunesse n’est pas indulgente pour ses professeurs. » Ainsi parlaient les Débats, il y a un siècle. C’était le ton de l’époque ; n’en sourions pas : dans cent ans, les diatribes d’aujourd’hui nous paraîtront peut-être plus surannées. Comprenons plutôt ce que ces attaques périodiques ont d’excessif et d’injuste, et que ce nous soit une consolation.

On en trouverait d’autres. N’oublions pas ici le rôle de l’élite : or, si le niveau moyen du français tend à s’abaisser,