Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/602

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et son caractère humain. or les combattants : ont mieux compris, par la leçon de la guerre, la valeur de la tradition nationale, digne d’avoir exigé un tel sacrifice ; et la valeur de l’être humain, placée dans les principes qui défient la mort elle-même. Cette vie qui leur a été laissée par miracle, ils veulent l’utiliser mieux ; ils veulent que ceux qui viendront après eux soient plus profondément Français, et plus largement hommes. La réforme de l’éducation nationale, et la place qu’y doivent tenir les humanités, sont une des préoccupations constantes de leur esprit. J’en veux pour témoins ces jeunes hommes qui sont venus se rasseoir sur les bancs de l’Université, pour reprendre leurs études interrompues, après cinq ans d’absence. Jamais les vieilles salles austères ne virent pareil public ; bronzés, décorés, mutilés, admirables, ils incarnent l’âme de la France trempée par l’épreuve et embellie par la victoire. Ils ont repris les disciplines scolaires avec un zèle incomparablement supérieur à celui qui les animait quand ils les ont quittées : on les croyait rouilles, fatigués, incapables avant longtemps de se remettre aux études sérieuses : ils sont revenus non seulement avec une volonté plus ferme, mais une intelligence plus nette, et un amour sacré de leur tâche.

Leur travail n’est plus la préparation machinale à un concours, fût-il le plus difficile : ils ont conscience de la dignité de leur fonction. Le sentiment de la forme française, est poussé chez eux au plus haut point du scrupule ; ils ont vécu dans l’argot, et pourtant aucune vulgarité, aucune trivialité ne passe dans leur style ; ils ont compris le respect qu’ils doivent à la langue, symbole de la nation qu’ils ont sauvée. Et pour l’avenir, ils veulent un enseignement rénové, qui s’ouvre davantage à la vie moderne, tout en sauvegardant le meilleur de la tradition. Le salut de l’intelligence française, comme le salut de la langue française, est là.

Ainsi, l’influence exercée directement, par la guerre a été moins considérable qu’on ne pouvait croire au premier abord. C’est une illusion courante, que ces bouleversements inouïs de la vie publique doivent entraîner des bouleversements analogues dans la vie du langage : en réalité, de nos jours, « il paraît impossible de prouver que les événements historiques d’une certaine importance, les guerres prolongées, les révolutions, ont pu modifier le développement régulier du langage,