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solitaire, et grelottant de fièvre. Il avait appris son histoire : élève de Saint-Cyr, d’Anthès avait, ainsi que beaucoup d’autres jeunes officiers, combattu pour Charles X, sur la place Louis XV, lors de la révolution de Juillet. Il était ensuite passé en Vendée, où il avait soutenu la cause de la duchesse de Berry. Ses convictions légitimistes et la situation précaire où il s’était trouvé, l’avaient forcé d’émigrer à l’étranger.

En Allemagne, il avait su s’attirer la bienveillance du prince Guillaume de Prusse qui lui conseilla d’aller prendre du service à la Cour de Russie et lui donna une lettre de recommandation pour l’Empereur. Muni de ce précieux passeport, d’Anthès s’était mis en route, lorsqu’une maladie le retint dans l’auberge où le baron de Heeckeren, également en route pour la Russie, s’était arrêté. Le diplomate s’intéressa à ce beau jeune homme et lui témoigna, dès lors, une sollicitude paternelle. Plus tard, il devait se l’attacher par une amitié constante, et, en 1836, il l’adoptait officiellement en lui léguant sa fortune et son nom. C’est en compagnie de ce futur père adoptif que d’Anthès arrivait en Russie.

La lettre du prince Guillaume, et surtout, peut-être, les opinions légitimistes de d’Anthès lui ouvrirent tout de suite l’accès de la carrière militaire. Il se présenta au régiment des chevaliers-gardes et y fut accepté dès 1834.

Esprit prompt et brillant, excellent camarade, il réussit à se rendre extrêmement populaire au régiment. DJ plus, le fait même d’appartenir à ce corps d’élile, dont il portait si bien l’élégante tenue, lui ouvrit les portes des grands salons de Pétersbourg. Il devint bientôt le plus apprécié des jeunes gens à la mode et se lança dans les bals et les réceptions dont le luxe et l’entrain incomparables faisaient l’attrait de la « saison. »

C’est à ces bals que nous retrouvons aussi Mme Pouchkine, très admirée, très fêlée, tandis que son mari se sent mal à son aise dans ce tourbillon mondain, dont il n’a ni le goût ni l’habitude. Son corps trapu, sa tête de Maure, irrégulière et farouche, ses cheveux crépus forment avec la gracieuse silhouette et l’angélique visage de sa femme un contraste qui n’est point à l’avantage du poète, si bien qu’on les compare à Vénus et Vulcain.

Voici le portrait de Mme Pouchkine, tracé par un contemporain enthousiaste, le comte Sollogoub : « J’ai vu bien des jolies