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Mathieu de Montmorency, s’étaient institués les prôneurs du génie inconnu. Genoude, selon une tradition, avait porté les bonnes feuilles à l’Abbaye-au-Bois, chez Mme Récamier.

Tout était arrangé pour un succès mondain : de la mélancolie, de l’amour, assaisonnés de religion et de royalisme ultra, ou à peu près, c’était de quoi faire pâmer doucement le faubourg el les châteaux. Au lieu du murmure discret et distingué d’une admiration de bon ton, ce fut un ouragan d’enthousiasme. Le succès s’enfla, déborda de tous les canaux qu’on lui avait préparés, inonda la capitale, la province, l’Europe. Tout ce qui lisait dans le monde entier fut transporté.

Toutes les résistances cédèrent. En vain grognèrent quelques classiques impénitents. En vain s’inquiétèrent quelques libéraux ; en vain essayèrent-ils de discuter le triomphe de cette poésie contre-révolutionnaire. Ni la mauvaise humeur de M. Andrieux, ni l’aigreur de Mme de Genlis, ni les critiques de Léon Thiessé, de Dupaty, de Tissot, ni les railleries du Constitutionnel n’arrêtèrent l’élan du public. On eut beau le rappeler au bon goût, lui présenter les maîtres et les bons auteurs du jour, Parny, Berlin, Mme du Fresnoy, MM. de Ségur, Casimir Delavigne, Lebrun. On eut beau lui faire valoir les charmes de M. Parseval, de M. le chevalier Dupuy des Islets, de MM. Saintine, Mennechet, Viennet et Campenon. Le public fut sourd à l’éloge de MM. Pillet, Vial et Famin. On ne réussit même pas à détourner un peu de ce torrent de gloire vers Mme Desbordes-Valmore, qui n’en était pas indigne. On ne parlait que des Méditations. On ne voulait qu’elles. La bourgeoisie libérale fit chorus avec l’aristocratie légitimiste ; les femmes de toute fortune et de toute nation s’abandonnèrent à l’émotion de celle poésie délicieuse, qui faisait chanter tout ce qu’elles avaient de musique dans le cœur.

La vente atteste l’entraînement universel. La première édition fut épuisée en moins d’un mois ; la seconde s’enleva, en avril, en quinze jours. La cinquième paraissait en septembre 1820, et la neuvième dans les derniers jours de 1822. En onze ans, dix-neuf éditions furent écoulées, sans compter, à partir de 1825, trois ou quatre impressions qui appartiennent aux collections des Œuvres complètes de Lamartine ; et il faut encore ajouter les contrefaçons belges dont le débit fut important, les contrefaçons russes, allemandes, etc.