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La cité universitaire, petite ville dans la grande, était particulièrement attachée à la domination anglaise ; et jusqu’en 1628, un corps de logis donnant sur la rue de Sorbonne devait en garder une marque flagrante : ce fut seulement au temps de Richelieu que disparurent de cette façade, où elles s’étalaient en bosse, les armes d’Angleterre, « savoir trois grandes roses qui avaient chacune en diamètre un pied et demi[1]. »

En septembre 1429, Jeanne, le jour de la Nativité de la Vierge, avait essayé de pénétrer dans Paris, et, blessée, elle avait dû se retirer : les universitaires en induisirent que Dieu n’était pas avec elle et qu’au demeurant elle profanait les fêtes de la Vierge, que dès lors ses succès antérieurs avaient été suscités par l’esprit malin, et que plus elle avait été victorieuse, plus elle méritait de passer pour sorcière. Ils furent si joyeux de sa défaite et des raisonnements qu’elle leur suggéra, qu’ils la commémoreront encore, deux ans plus tard, le 8 septembre 1431, par une cérémonie d’actions de grâces. De méchants bruits circulaient, d’après lesquels, au moment de l’assaut, on avait entendu Jeanne crier elle-même : « Si vous ne vous rendez, nous entrerons par force et vous serez tous mis à mort sans merci. » Propos diaboliques, concluait-on. Et certaine note consignée par le grand bedeau de la faculté de théologie atteste que, vers le 22 septembre 1429, cette faculté faisait transcrire un traité sur le bon esprit et le malin esprit, pour y chercher sans doute, dès ce moment-là, des armes contre Jeanne. Le Vénitien Pancrace Justiniani, se trouvant à Bruges en novembre 1429, avait vent que « l’Université de Paris, ou, pour mieux dire, les ennemis du Roi, avaient accusé Jeanne auprès du pape ; » et certains religieux disaient à Pancrace : « La Pucelle est une hérétique, et non seulement elle, mais encore ceux qui ont foi en elle. Elle va contre la foi en voulant qu’on la croie, et en sachant prédire l’avenir[2]. »

Cette Université parisienne, qui jadis rayonnait sur la chrétienté comme une messagère de la croyance et du 5avoir, avouait au pape Martin V, en 1425, la décadence de sa vieille gloire[3]. Mais les universitaires maintenaient leur

  1. Edmond Richer, Histoire de la Pucelle d’Orléans, édition Dunand, I, p. 213. (Paris, 1911.)
  2. Chronique Morosini, III.
  3. Nous sommes très redevables à l’étude sur le Procès de Jeanne d’Arc et l’Université de Paris, publié dans les Mémoires de la Société de l’histoire de Paris XXIV (1897), par le P. Denifle et M. Emile Châtelain.