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italienne que nous trouvons seulement pour la première fois l’idée chrétienne de la femme, avec les Vierges du Quattrocento, la Giovanna de Cavalcanti, la Selvaggia de Gino, la Béatrice de Dante et la Laure de Pétrarque. » Villari ne savait pas alors que les Vierges françaises avaient devancé depuis longtemps les Madones italiennes. Mais il a reconnu le premier que cette haute idée de l’amour, condition de la véritable délicatesse morale, n’était pas, ne pouvait pas être une invention barbare.

Dans un brillant développement, il oppose ensuite à grands traits les caractères principaux des peuples germaniques et des peuples latins. Il interroge, en les comparant, les grands poètes des deux races, Dante, Shakspeare, Gœthe, Alfieri, Byron. Il les fait comparaître tour à tour. Après avoir, en un raccourci puissant, évoqué le théâtre de Shakspeare, il ajoute : « Quelle est la raison de ce monde que le poète déploie devant nos regards éblouis ? Quel est l’objet de ces heurts d’ambitions, de haines et d’amours ? Que veulent ces hommes dévorés de passions délirantes ? Rien d’autre qu’obéir à la passion qui les tourmente, déployer la puissance inquiète de leur âme, posséder l’objet de leur amour, anéantir celui de leur haine, ou mourir. Jamais rien au-dessus de nous et de nos passions, du poète et de ses personnages. La divinité est absente. La patrie, si puissante sur le poète grec ou latin, apparaît à peine. L’individu n’a pour fin que lui-même : rien au-dessus de lui qui l’exalte, l’ennoblisse. Dans ce peuple innombrable d’hommes, on dirait que s’est évanouie l’humanité.

« Et toi, poète immortel, quels espoirs, quels désirs, quelles angoisses agitèrent ton cœur ? Nous ne le savons pas. Nous avons beau t’admirer et t’aimer, tu demeures toujours impassible et impersonnel ; tu refuses de soulever le voile sous lequel tu dérobes ton âme. Ton siècle même ne t’a pas connu : tu le traversas inaperçu, et les contemporains parlent à peine d’un des plus grands génies qui aient jamais vécu.

« Combien différent le poète latin ! Avec Dante, nous entrons dans le royaume des ombres. Mais à peine le grand gibelin a-t-il posé le pied sur le seuil de l’éternité, voici que les damnés, au milieu de leurs supplices, se retrouvent guelfes et gibelins, Florentins et Pisans ; au son de la parole natale, leurs passions se réveillent, ils oublient de souffrir. Parmi les vivants de Shakspeare, nous n’avons pas trouvé de patrie : Dante emporte