Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/932

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mi-politique, embrase et déchire l’Europe, met en question pour des siècles l’unité de la chrétienté. La Réforme, divise la France ; elle échoue chez les peuples qui ont mieux réussi à se purger du principe barbare. Le Nord et le Midi divorcent. L’Europe devient un champ de bataille. Et peut-être l’idée de regarder la Réforme de Luther comme une machine de guerre du germanisme, paraîtra-t-elle un peu audacieuse et sommaire ; sans doute les choses à l’origine ne résultèrent pas d’un calcul et d’une conception nette. Mais nous savons maintenant par quel travail de la pensée, en apparence la plus abstraite, l’Allemagne a coutume de préparer ses assauts. Nous savons qu’elle n’a pas changé et qu’elle n’a pas cessé d’aspirer à l’Empire. Qui sait si Villari n’aurait pas reconnu dans la révolution marxiste la marque de l’Allemagne et l’essai le plus redoutable du génie barbare en révolte contre la civilisation ?

Je ne prétends pas avoir en quelques pages donné l’idée complète de cette esquisse d’une philosophie de l’histoire. C’est le résumé d’un résumé. Les nuances échappent. Il faudrait ajouter que dans cet opuscule de combat, Villari ne laisse pas de trahir çà et là des idées hégéliennes, l’espoir d’une réconciliation finale et d’une synthèse harmonieuse où viendraient se confondre les forces ennemies. Il lui arrive d’envisager l’histoire moins comme une lutte que comme une collaboration. Son vieux génie latin, d’essence catholique, n’abandonne pas le rêve d’une fraternité humaine.

Il souffrirait de laisser des réprouvés en dehors de l’Eglise. L’un des premiers il a parlé de la Société des Nations. Une sympathie particulière l’unissait à l’Angleterre, qui était le pays de sa femme, et l’un de ceux où il comptait le plus d’admirateurs. Il avait enfin pour l’Allemagne et pour la Prusse de Bismarck cette admiration singulière que partageait alors l’Europe libérale. Il respectait la force, la décision, l’esprit de suite avec lesquels ce pays avait su réaliser son unité nationale, sortir en quelques années de la confusion et du chaos, pour s’élever à un degré de puissance incomparable. Il ne cessait de proposer à ses compatriotes ce remarquable exemple d’énergie et de discipline.

Il n’a point désiré la guerre. Il l’a vue venir et il l’a prédite Dans un de ses derniers écrits, au mois de juin 1914, le maître plus qu’octogénaire analysait les signes de la tempête