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visite de Robert Charrier, naguère ouvrier gréviculteur, maintenant ministre du travail : il lui offre sa voix pour l’Académie. Survient l’abbé Paul Charrier, frère de ce dernier, mais qui, lui, n’est pas « arrivé ; » il est resté curé de campagne ; il s’en tient à la morale, du Christ. Il faut entendre comme ces deux gros bonnets, tout gonflés de leur importance, rabrouent le pauvre hère, en lui assénant des maximes du plus pur nietszchéisme. « JEAN : Je divise les hommes en deux classes : d’une part d’innombrables imbéciles, d’autre part quelques natures privilégiées : les lions. — ROBERT : Ces braves gens ne parviennent pas à comprendre que des hommes tels que vous et moi ne peuvent être soumis à la règle commune. » Ambitieux nantis et jouisseurs satisfaits, ils prennent un même plaisir à mettre en formules leur égoïsme ingénu et féroce.

Il faut bien le dire, ce dernier acte a paru vide et froid. C’est qu’en fait, la pièce est finie après le troisième acte. L’auteur nous a formellement avertis que son dessein était de nous faire assister à l’évolution d’un caractère, détourné par un accident de sa voie naturelle, et qui y est ramené par la force des choses. La lutte qui se livre chez un fils d’aristocrates, entre son instinct et une vocation purement artificielle, est toute la pièce. De la minute où, par le retour de Jean à sa vraie vocation, cette lutte a cessé, la pièce prend fin avec elle ; car il n’importe guère que par la suite Jean réussisse ou ne réussisse pas dans l’industrie, et qu’il entre ou qu’il échoue à l’Académie. Même je trouverais excellent, pour la portée morale de la pièce, qu’elle se terminât par la révolte des ouvriers et l’assassinat de Boussard. Ce serait l’illustration de cette vérité d’observation qu’à vivre et agir dans le faux on ne peut faire que beaucoup de mal. Apôtre sans vocation qui s’est posé en ennemi des siens, Jean de Miremont est un parfait agent de désagrégation sociale.

M. de Max, dans le rôle de Jean, est insupportable de lenteur, de solennité et de grandiloquence. Mais Mlle Bovy est charmante, au premier acte, sous les traits du petit Jean. Et M. Denis d’Inès est un excellent abbé Charrier.


RENE DOUMIC.