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contours précis, et qui craignait la clarté autant qu’elle aimait la lumière, avait mis au rebut à leur tour l’idéal du Parnasse et celui du naturalisme. Plus de faits, plus de formes. Le réel, le solide, l’intelligible étaient exorcisés. « De la musique avant toute chose. » L’imprécis était la beauté ; l’indéfinissable ou l’inconcevable était la vérité. Il ne valait la peine de revêtir d’une expression littéraire que la nuance changeante de l’heure ou le frisson fugitif du moi ; on voulait atteindre l’éternité dans la mobilité de l’instant, et parvenir au plus profond de l’essence à travers les plus impalpables des phénomènes ; ne dire rien pour faire saisir tout.

N’eût-il pas rendu d’autre service à la littérature, ce qu’on a appelé l’art décadent ou symboliste aurait du moins le mérite d’avoir remis Lamartine à sa place. Le flou, le vaporeux, l’immatériel de son expression, l’émoi mystérieux de son ossianisme, la spiritualité flottante de sa religiosité, toutes ces grâces de 1820 que 1850, 1860, 1880 avaient jugées vieillottes, et décidément bonnes pour la friperie, se rajeunirent tout d’un coup et donnèrent à Lamartine le prestige d’un précurseur. On lui sut gré de ce qui avait indigné également les classiques et les naturalistes, d’être si peu l’homme du fait, et si peu intellectuel, et si peu scientifique. On l’aima contre le réalisme artistique et contre le positivisme littéraire.

Aux héritiers parfois ingrats du symbolisme, il offrit le moyen de faire la critique au symbolisme, et l’occasion de le renier. L’imprécis de 1820 parut précis à côté du brouillard de 1890. Les Méditations montraient ce qu’on pouvait faire dans la tradition française, et en ignorant les nouveautés anarchiques aussi bien que les bizarreries exotiques. Lamartine était un maître qui dispensait la génération nouvelle d’en avouer de moins lointains.


On peut penser que cette dernière révolution a décidément stabilisé le niveau de la gloire de Lamartine. Il a traversé la période difficile où un auteur est vieux sans être ancien ; où il est démodé sans être encore au-dessus de la mode. Il émerge maintenant en pleine lumière, dans son vrai caractère et sa figure définitive : tel, selon le beau vers sibyllin de Mallarmé,

Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change.