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la gloire a dû éclairer les premières années de M. Gabriel Hanotaux. Mais Henri Martin est venu à l’histoire sans préparation, étant d’une génération où l’on abordait le sphinx sans beaucoup de cérémonies et l’interrogeait d’un regard parfois trop rapide. M. Hanotaux y a mis plus de précaution. Son esprit, qui peut-être eût tendu à s’aventurer, est venu se soumettre à la dure discipline de l’École des Chartes. Il y a, près d’un Jules Quicherat, appris le travail âpre et rude qui courbe, des heures, des jours et des années, sur le document, rompt à la tyrannie des textes, refrène toute impatience, interdit à jamais l’hypothèse prématurée et la conclusion hâtive.

Mais si, à l’école de la rue des Archives, un Hanotaux a appris le respect du document, c’est à une autre école qu’archiviste frais émoulu, mais avide de comprendre l’esprit après la lettre, il est allé s’asseoir. La politique l’a saisi de bonne heure, et c’est encore, pour qui sait regarder, un beau laboratoire d’histoire. Songeons à ce qu’ont pu être, quinze ans, pour ce curieux, le cabinet de Gambetta et celui de Jules Ferry, le Palais-Bourbon, les bureaux des Affaires étrangères et, comme couronnement de carrière, quatre ans dans le fauteuil de Talleyrand.

L’Histoire du cardinal de Richelieu est encore du chartiste appliqué, bien que déjà élargi par la vision des choses ; il la préparait au cabinet de Léon Gambetta qui, avec son large rire, appelait son jeune collaborateur « le petit évêque de Luçon. » Conçu d’une façon tout à la fois rigoureuse et ample, l’entreprise ne pouvait se mener jusqu’au bout de front avec la vie publique : joindre la conscience documentaire d’un Jules Quicherat à la large manière d’un Albert Sorel était d’un esprit courageux ; si l’on s’attaque à Richelieu dans cet esprit, c’est trente ans de la vie, non point seulement de la France, mais de l’Europe qu’il faut traiter de cette façon. Il eût été presque dommage qu’un esprit aussi actif se fût immobilisé dans cette tâche de bénédictin. Les documents en partie réunis, trois volumes écrits, l’œuvre attend d’être reprise. L’homme s’y est cependant non seulement révélé, mais fortement formé. Du contact avec son héros, — le plus grand homme peut-être de notre histoire avant Bonaparte, — il est resté au jeune historien une conception très personnelle de la grande politique nationale, de la tradition française dans sa plus belle formule. Et s’il n’a pas mené Richelieu au-delà de son premier ministère, il s’en