Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fleurdelysés du Parlement ; elle a, Jeanne d’Arc disparue, qui, Française, était toute raison comme toute vaillance, parachevé son entreprise en enrôlant la France derrière Louis XI contre un « Téméraire ; » ayant, du cabinet de Montaigne et du cénacle de la Pléiade, passé aux auteurs de la Satire ménippée, elle a épaulé et étayé le Béarnais en qui elle se retrouvait ; elle a conseillé la tolérance après tant de discordes, la discipline après tant d’excès et, ayant porté Henri IV, facilité l’œuvre de Richelieu. Elle a éclaté dans la littérature et l’art du Grand Siècle et, aux heures mêmes où Louis XIV semblait l’abandonner pour de trop vastes desseins, elle connut ses moments de revanche. Quand un régime vieilli heurtait le bon sens plus que la justice, elle a, autant que la révolte, guidé les électeurs de 1789 et, après les grands excès, elle a reparu dans le Conseil d’Etat de Bonaparte. Elle constitue une nappe profonde qui, parfois, semble disparaître sous le bouillonnement des révolutions, mais reparait, les grands troubles apaisés. La raison, elle est le fond même, le caractère du terrien qui est resté attaché à la glèbe, et, si, dans ces cinq ans de crise, cette raison française a étayé le courage c’est que c’était guerre de paysans conduits par des bourgeois.

Et c’est là qu’est notre espérance ; car ayant triomphé avec l’héroïsme, la raison française reste maîtresse de l’avenir. Vertu complexe, cette vertu française mérite qu’on la fortifie en lui montrant sa continuité à travers les siècles. Lui signaler ses titres, c’est la confirmer dans sa force. Le soldat de la grande guerre, le citoyen de la grande crise, ce ne sont point héros d’un jour. Ils ont de qui tenir et, ayant reçu conscience de leurs racines, ils n’en seront que plus rassurés sur leur destinée.

Vingt historiens groupés sous un maître et que recommandent de beaux travaux sont en ce moment en train de rechercher, — chacun dans sa sphère propre, — les traits saillants de cette prodigieuse histoire. Si, entrant plus profondément que n’a pu le faire le maître dans le vif de leur sujet, ils viennent justifier son rapide et généreux discours, ils auront collaboré à un ouvrage qui n’est point simple œuvre d’érudition, mais œuvre d’État. Car c’est en fournissant à la Nation des raisons de se connaître et de s’enorgueillir, qu’ils lui donneront, avec une confiance grandie en sa vertu, des raisons d’espérer et de persévérer.


Louis MADELIN.