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dit-il, en se tournant vers Descôteaux, que c’est de la flûte tyrienne que vous allez être assez bon pour jouer à ces Messieurs ! » Descôteaux balbutia, rougit, dit qu’il n’était pas préparé à tant d’honneur ; mais, quelques formes qu’il y mit, Molière ne le laissa pas qu’il n’eût consenti enfin à jouer. « Je jouerai donc pour vous, comme Flaccius jouait pour Térence, » dit Descôteaux avec modestie. À ces mots, prononcés sur un ton engageant, le « hautbois du Roy » se leva, tira de son habit sa flûte douce et il ne jouait pas depuis un instant que les convives autour de la table. Gaches, le petit Baron et notre Bonhomme, étaient plongés déjà dans l’extase. Molière et Chapelle, bouche bée, écoulaient le flûtiste. Boileau tendait l’oreille et de leur côté, la servante La Forest, le portier Chrestien, retenant leur souffle à force d’admirer, écoutaient aussi.

Par une sorte de secret d’éloquence qui n’appartient qu’à la musique, on eût dit que Descôteaux s’efforçait à traduire sur sa flûte les appels de l’amour, la douleur et le dépit de l’abandon. Tantôt en effet la voix de l’instrument était suppliante d’autres fois, elle était plaintive ; enfin, on eût dit que des sanglots s’y mêlaient à la joie et à la tendresse. Enfoncé dans son fauteuil, Molière écoutait ; il écoutait tout cela qu’exprimait Descôteaux ; il pensait à sa coquette, il pensait à Armande. Il s’avouait que c’était une folie de l’aimer ; et, cependant, il la revoyait dans l’Ecole des maris, cette « pièce de fiançailles » comme devait dire si joliment un jour M. Maurice Donnay, cette pièce où, tandis qu’elle avait été Léonor, il avait été Sganarelle. En même temps, il songeait à l’agrément, au charme qu’elle avait montrés, à ses mutineries, à ses bouderies et à ses grâces ! Et lui Sganarelle, lui Arnolphe, lui Alceste, lui qui avait bien trente ans de plus qu’Armande, il pensait à cette enfant qui se jouait de lui et, pourtant, lui avait pris le cœur.

Longtemps, longtemps, Descôteaux joua. Il joua avec tendresse, avec sentiment et, sans le gros rire de Chapelle, qui éclata à la fin du concert, il en est plus d’un, — parmi ces beaux esprits, — qui se fût laissé aller à s’attendrir et à pleurer ; mais, le rire bruyant, le rire sonore du burlesque eut bien vite raison d’une mélancolie aussi poignante. Renversé au fond de son fauteuil, le regard fixe, intérieur et, comme s’il eût contemplé en rêve des bergers occupés à danser devant lui dans un bal champêtre, La Fontaine, malgré le bruit causé