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considérer ? L’un est bien fonction de l’autre, mais, si l’évaluation de ce que possède une nation est déjà une tâche presque surhumaine, celle des revenus annuels de ses citoyens est impossible, tant les divers éléments qui entrent dans ce dernier chiffre sont flottants, mobiles et, dans bien des cas, échappent à tout contrôle, à tout enregistrement officiel. Or l’ordre de grandeur des sommes à payer pour les réparations dues aux Alliés est tel que le seul mode de paiement à envisager, tout au moins pour la majeure partie, est celui des annuités.

L’Allemagne, l’Autriche, la Bulgarie, la Turquie doivent s’acquitter au moyen de paiements annuels comprenant l’intérêt de leur dette et une fraction d’amortissement. C’est sur les revenus de la nation que ces annuités doivent être prélevées : elles constituent une charge budgétaire. Alors se pose la question de savoir ce que doit être ce budget. Selon que, les dépenses militaires qui, pour tout pays, en constituent une si forte part, seront plus ou moins élevées, des sommes plus ou moins considérables resteront disponibles. Il est évident qu’une nation qui a des obligations à remplir vis-à-vis d’autrui, n’a pas le droit de gérer ses finances comme elle le ferait en l’absence de tout engagement de ce genre. Elle doit s’abstenir de tout gaspillage, de toute expérience étatiste de nature à entraîner des débours anormaux, de toute politique de conquête qui enflerait son budget ; elle doit réduire son train de maison au strict nécessaire, jusqu’à ce que, s’étant acquittée vis-à-vis de ses créanciers, elle retrouve sa pleine liberté d’action. Qui ne mesure les sommes qu’une politique de cette nature, la seule qui soit admissible en la circonstance, laissera disponibles dans le budget de l’Allemagne ? Le traité de Versailles a pris soin de limiter les effectifs militaires qu’elle est autorisée à entretenir : de ce chef seul, elle va réaliser une économie énorme par rapport à ses dépenses d’avant-guerre. Il en sera de même pour la marine. Elle n’a plus de colonies et peut donc vivre sans cuirassés ni torpilleurs ni sous-marins ; on voit le nombre de milliards que dégage cette transformation d’un Empire militaire et agressif en une démocratie ramenée à la raison.

Serrons les chiffres d’un peu près. La France, avec 38 millions d’habitants, a un budget ordinaire de 20 milliards ; la parité pour l’Allemagne avec 63 millions d’habitants serait de plus de 33 milliards. Mais il y a plus. Le chiffre de 20 milliards n’est pas celui qui représente les sacrifices de la France. Elle