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examine l’étonnante réussite du Congo belge, puis la valeur économique du Congo français : il montre la faiblesse de nos arrangements administratifs et insiste sur la nécessité de créer de grandes exploitations commerciales et agricoles. Il trace le plan d’une politique française coloniale, et non copiée sur la politique léopoldienne, mais qui aurait à ne pas méconnaître renseignement que l’expérience du voisin propose. Et, par bonheur, ce n’est pas mon affaire de discuter ses arguments et de savoir si l’on aurait dû suivre ses conseils. Mais il fallait noter ce caractère de son œuvre : elle est sérieuse et active d’abord.

Ne l’est-elle plus, à partir du moment où M. Pierre Mille, collaborateur aux Annales de géographie et l’auteur d’un essai sur la colonisation commerciale et industrielle en Afrique, devient un conteur des plus attrayants ? Certes il change de gravité. Il semblera frivole quelquefois et le sera plutôt en apparence que tout de bon. Les problèmes coloniaux n’auront pas fini de l’intéresser. Seulement, il lui plaira de les traiter d’une autre manière ; et, par exemple, il chargera son magnifique Barnavaux, plein de bon sens et d’une compétence éprouvée, d’énoncer quelques-unes de ses idées, avec un dogmatisme et un entrain que l’on n’ose pas montrer comme de soi.

A la terrasse d’un petit calé sis au coin du boulevard Montparnasse et de la rue du Cherche-Midi, Barnavaux, sergent d’infanterie coloniale, et M. Pierre Mille voient passer, qu’on traîne sur un fardier cabotant, la masse d’une statue énorme en plâtre et dont le sommet dépasse la cime des arbres : c’est pour le Salon d’automne. Et, symbole de la France occupée à civiliser un peuple barbare, un soldat de l’infanterie coloniale « relève de la main droite une petite négresse aux chaînes brisées, tandis que de la gauche il brandit un fusil modèle 86. » Voilà votre portrait, dit à Barnavaux M. Pierre Mille ; et ça doit vous faire plaisir. » C’est idiot ! répondit Barnavaux ; c’est complètement idiot ! » Ce monument, du salon d’automne, ira orner une place publique, dans l’une de nos colonies africaines. Eh ! bien, remarque Barnavaux, « quand on montre un blanc aux indigènes, il faut que ce soit un grand blanc, un chef, avec des galons, la croix de la Légion d’honneur, et qu’il ait une grande barbe, autant que possible, la barbe étant ce qu’ils respectent le plus au monde, parce qu’ils n’en ont pas. » Et puis, quelle idée de représenter le peuple barbare sous les traits d’une femme ? Ces Africains méprisent les femmes et ne comprendront pas que celle-ci soit l’image de leur patrie. Cette femme est nue. « Il n’y a pas un pays hors d’Europe, pour croire que