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Entre temps, il faisait la connaissance d’un homme qui devait exercer une influence considérable sur l’orientation de sa pensée et de ses travaux, et dont la personnalité originale mériterait une longue étude. Henri Lorin a été en France, dans les vingt dernières années du dernier siècle, le théoricien par excellence et l’apôtre du catholicisme social. Ancien polytechnicien, ami d’Albert de Mun et de La Tour du Pin, nourri de la Bible, des Pères de l’Église et de saint Thomas, il estimait que seul le catholicisme intégral est qualifié pour résoudre suivant la justice les angoissantes questions sociales que pose la vie contemporaine ; il avait conçu tout un système, rigoureux et hardi, qui battait fortement en ruine les théories économiques mises en honneur par la Révolution et par l’école dite libérale ; pour réformer notre régime actuel du salariat, il appelait de ses vœux une sérieuse législation sociale et une sage organisation professionnelle. Il avait rallié à ses vues nombre de catholiques intelligents et généreux ; ce n’était pas un chef d’école, mais c’était un chef de groupe. Très écouté à Rome, estimé et aimé de Léon XIII et du cardinal Rampolla, il y a quelque chose de lui, de ses idées, dans l’encyclique Rerum novarum. Il n’était ni orateur, ni écrivain : mais c’était un brillant et séduisant causeur ; et de sa parole chaude et incisive, un peu tranchante parfois, de toute sa personne robuste, franche et cordiale, il se dégageait une telle puissance de vie, de générosité et d’idéalisme, qu’il était difficile de ne pas se laisser convaincre. Il se plaisait à grouper dans son salon du faubourg Saint-Honoré tous les catholiques d’action et d’avenir qui vivaient ou passaient à Paris ; il aimait les jeunes et il s’en entourait volontiers. Jean Brunhes, René Pinon, Maurice Masson, Édouard Le Roy, Maurice Legendre se rencontraient autour de sa table hospitalière. Idées, suggestions, projets de toute sorte naissaient, s’échangeaient, dans cette atmosphère intelligente et sympathique, sous les regards aimables et les sourires encourageants du maître de la maison. Georges Goyau fut bientôt l’un des hôtes favoris de l’accueillante demeure ; il devint à son tour un fervent adepte du catholicisme social, et, plus d’une fois, il a repris, filtré, précisé des vues d’Henri Lorin.

Pour un normalien que l’histoire de l’antiquité attire, il y a un supplément de culture et d’initiation qui s’impose : c’est celui que procure un séjour aux Écoles françaises de Rome ou