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mettent d’estimer que les sottises qui se cachent sous un air de sensibilité ou de bon sens. »

C’est Goethe qui parle ainsi. Plus haut, c’était M. Charles Maurras. Après l’opinion de Taine, en voilà d’autres, qui ne sont pas « de Monsieur tel ou tel. » Assurément l’ombre de Mozart, et M. Vincent d’Indy peut-être nous pardonnera de les avoir citées.

« Il suffit, » disait Gounod, « il suffit d’un interprète pour calomnier un chef-d’œuvre. » Pas un calomniateur ne s’est rencontré cette fois parmi les interprètes du chef-d’œuvre de Mozart. Tous l’ont compris, l’ont senti, l’ont rendu : l’un d’eux même, ou plutôt l’une d’elles, en perfection. L’oracle conseillait à Socrate de ne faire que de la musique. C’est cela qu’il faut faire quand on chante Mozart. Dans le rôle, difficile entre tous, de Fiordiligi, ainsi fit une fois encore cette cantatrice insigne dont la voix et le style ont la même pureté, Mme Ritter-Ciampi. Ses partenaires, au nombre de cinq, ont mené fort agréablement le jeu délicieux qu’est la partition de Mozart. Depuis qu’elle a chanté pour la première fois le rôle de Suzanne, ou plutôt en le chantant, Mme Vallandri (Dorabelle) a fait de sensibles progrès. Elle se familiarise avec le style de Mozart. Il ne lui manque plus que d’assouplir et de polir en quelque sorte une voix toujours un peu dure. M. Vieuille a su fort habilement affiner, alléger la sienne, et son jeu même, autant que sa voix. Mlle Edmée Favart (la soubrette) a beaucoup de verve, d’esprit, mais peut-être un peu moins de distinction qu’il ne faudrait. Quant aux deux jeunes amoureux, M. Audoin (baryton) est loin de mal chanter et M. Gazette, un ténor à la voix charmante, en est plus loin encore. Bravo, l’orchestre vivant, brillant, discret et délié, une ou deux fois seulement un peu trop vite, de M. André Messager. Il n’est pas jusqu’au décor, aux costumes, qui ne soient dans l’esprit et le sentiment de la musique. En résumé, Cosi fan tutte a fait de nous, de nous tous, pendant quelques heures, les habitants du « royaume où demeurent les enchantements célestes des sons. » Décidément c’est quelque chose que la pure, la parfaite beauté. Le public s’y montra sensible, heureux de pouvoir manifester sa joie, son enthousiasme, en toute assurance, avec la garantie et comme à couvert du nom de Mozart.

Camille Bellaigue.