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femme tombe malade et on apprend qu’à l’insu des siens elle passe les nuits à genoux. « Vous allez me gronder, mais quand je prie, il me semble que mon pauvre enfant ne risque rien. Et qu’est-ce que ma fatigue à côté de la sienne ? » Pendant les mois d’août et de septembre 1914, sous l’émotion des premières nouvelles, beaucoup de malades montrèrent plus de courage devant la souffrance, plus de sérénité devant la mort. Ne faut-il pas dans ce redressement héroïque de l’âme faire sa part au sentiment religieux ?

On en aurait vu certainement une magnifique explosion si la guerre s’était terminée par une rapide victoire. Il fut très sensible au cours des deux premières années ; puis, sa manifestation alla décroissant pendant les suivantes, et peu à peu « tout se remit comme avant. » La guerre étant devenue chronique, on s’y adaptait, beaucoup d’adaptations ne furent pas favorables au sentiment religieux. Celui-ci s’accommode mal du désordre familial que la guerre moderne entraîne. On peut noter aujourd’hui que l’assistance aux offices du dimanche est moindre qu’autrefois, et d’autres symptômes inquiètent ceux qui par leur caractère et leurs fonctions y sont le plus attentifs. Certains concluent que la guerre a fait perdre aux paysans le peu de religion qui leur restait.

La conclusion, psychologiquement et a priori, nous semble bien contestable, Peut-on admettre que ce qu’il y a d’essentiel dans l’âme paysanne, qui est proprement traditionaliste et mystique, avec quoi elle a toujours fait les grandes choses, et vient une fois de plus de sauver la France, va disparaître épuisé, et comme dissous, par un effort de cinq années ? Cette force profonde et obscure ne s’est-elle pas au contraire confirmée dans l’épreuve ? D’autres observateurs, avec plus de finesse, discernent une sensibilité religieuse, qui se cache peut-être, mais en fait augmentée, non sans quelque nouveauté, si bien que tous les anciens modes de sollicitation ne seront peut-être pas valables. Pour atteindre et toucher l’âme des paysans, passés par la guerre, « qui ne s’en font pas et détestent les bourreurs de crâne, » il faudra de la vertu comme autrefois, le don de soi plus que jamais et aussi du talent. Il faudra la manière : des prêtres l’auront dont la pensée d’apostolat s’est étendue et enrichie aux rudes contacts de la réalité dans les hôpitaux, les tranchées et la bataille. Deux paroisses rurales limitrophes, avec même population et mêmes