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petit bourg, dont le tabellion pouvait lire des romans toute la journée, dépassera cette année six cent mille francs d’affaires, à s’en tenir aux seuls achats faits par les paysans. On a déjà quelques documents : dans un arrondissement pauvre, les paysans ont acheté en 1919 dix millions de terre, dix-neuf millions dans un autre, Il n’est pas téméraire d’évaluer à trois milliards-les sommes consacrées à la terre par les paysans, au cours de la première année qui a suivi l’armistice.

Grâce à ces achats, la terre est autour de nous facilement vendable, alors qu’elle ne l’était pas. La hausse est du double, parfois du triple pour les petites propriétés au-dessous de quinze hectares fort recherchées, et aussi pour quelques-unes très grandes, qui, ne trouvant pas preneur avant la guerre, étaient offertes à des prix dérisoires. Pour les autres, la plus-value varie entre cinquante et vingt pour cent. Cette hausse n’est d’ailleurs qu’apparente, les payements étant faits avec des billets dont le pouvoir d’achat a diminué des deux tiers ; elle ne deviendra réelle que lorsque les prix auront dépassé le triple de ce qu’ils étaient avant. Le cours de la terre dépend des demandes faites par les paysans, seuls acheteurs, si l’on excepte quelques capitalistes de fraîche date, recherchant les domaines avec châteaux. En somme, la propriété paysanne s’accroît aux dépens de la propriété bourgeoise : nous assistons à l’expropriation, depuis longtemps prévue, des rentiers de la terre par ceux qui la travaillent.

C’est un fait considérable, riche de conséquences heureuses. Il mérite d’être énergiquement encouragé. On a parlé de créer des organismes qui, sous le contrôle de l’Etat, travailleraient au remembrement de la propriété quand elle est trop divisée, à son lotissement quand elle ne l’est pas assez. On donnerait un appui financier à certaines catégories de paysans, des conseils à tous. Il y a des régions où les paysans ne peuvent acheter suffisamment de terre pour y occuper leur famille parce qu’elle est trop chère : il les faudrait conduire dans celles où, par suite d’une insuffisante natalité, comme les bords de la Garonne et de ses affluents, les métairies les plus fertiles sont vendues à des prix très abordables.

Bien des gens croient que, la terre passant entre les mains des paysans, la production agricole de la France en sera notablement augmentée. Il ne faut pas sur ce point se faire trop