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la simplicité. Mais les yeux bleu pâle sont vagues, disant le regard habituellement perdu, promené sur l’horizon monotone où rien ne le fixe, ou bien glissant sur les liquides surfaces fuyantes. Il semble qu’ils échappent, ces pêcheurs, aux influences si spéciales de la vieille civilisation bretonne. C’est qu’ils sont toujours en mer, à leur travail, ou bien, après les longues nuits passées dehors, assis, demi-couchés sur le pré qui monte au-dessus du lavoir, muets, les membres détendus dans l’absolu besoin de repos, les yeux tournés vers les libres espaces. Ceux-là ne vont jamais à la ville, pas même dans leurs bateaux, par la rivière, — toute leur pêche vendue d’avance au cabaretier mareyeur, principal personnage du hameau.

Ils sont là comme une espèce à part, une famille d’oiseaux de mer qui posèrent leur nid dans un repli de la côte, non loin des oiseaux différents des bois et des champs, surveillant toujours, de leur grève, leur élément, ne la quittant que pour s’élancer à la pêche. Tout leur univers, ils l’ont sous les yeux : la brève ligne du large entre les deux pointes de l’estuaire, le bon abri du port où leurs bateaux échoués ou flottants, tous pareils, lèvent leurs mâts parmi les plates et les viviers, quelques-uns tout en haut de la grève, presque dans les feuillages. Ils voient le lanok, où des filets bleus sont étendus sur l’herbe, les grands arbres amis qui portent leurs agrès, et les obscurs logis où naquirent leurs pères, où leurs femmes accouchent, et le doué où lapent, tout le jour, les battoirs, et le débit, que l’on fréquente trop, — mais on a besoin, quand on revient de la mer, d’un peu de chaleur et de société humaine ; il faut bien oublier la dure besogne monotone dans un peu de rêve fumeux où la langue se délie.

Et devant eux, tout près de la cale, sur le pré penché où l’on est bien, en attendant la marée pour faire un somme, c’est la chapelle, la plus ancienne, ici, des choses humaines, à peine plus haute que les masures, mais dont le minuscule clocher, les toitures en croix, signalent avec évidence le caractère sacré. Une fois par an, elle connaît un jour glorieux, celui de la Sainte obscure, patronne de ces pêcheurs, qui sort alors de son ombre, et triomphalement portée sur des épaules de jeunes filles, suivie de tout son peuple, fait le tour de son domaine. Jour de fête et de pardon, où afflue, des paroisses voisines, la gent paysanne, en traditionnels costumes bretons :