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encore pendant trois heures, et c’était aussi la paix secrète, l’enveloppement, les murmures de la forêt. Sur cette grande eau puissante (où l’aileron noir du marsouin vient parfois surgir en tournant) ne passaient de loin en loin que des bruits sylvestres : gazouillis de petit oiseau perdu dans la feuillée, craquement et chute d’une branche morte, longue rumeur des cimes que le vent émeut, chaque sonorité dans le silence transparent, dans le recueillement inexprimable de ce monde, prenant une valeur singulière. Et de même, en l’absence des hommes, les plus simples choses s’animaient, se pénétraient de sens : un bouquet de pins sur un promontoire, un vieux logis de garde, dans les rouges bruyères, au-dessus des goémons d’or, de pauvres bateaux abandonnés en haut d’une grève, le nez dans les ajoncs.

Avec quel plaisir j’ai revu la charmante plagette, d’une courbe si pure, derrière la pointe de Penfoul ! La blancheur de son gravier s’enfonce, décroît insensiblement dans le cristal verdissant de l’eau. Un beau chêne-vert, détaché de la forêt, habite cette retraite. Il est là, tel que je l’ai toujours connu, car il ne semble plus grandir, méditerranéen par la perfection de son dessin, par son feuillage impérissable et lustré, créature étrangère dont le germe fut apporté par quel hasard des vents et des courants ? — et qui nous atteste la tiédeur, près du Gulf-Stream, de ce repli de la terre bretonne. Sa présence fait le caractère unique de cette mignonne arène blanche où les Grecs eussent rêvé quelque divinité, une dryade emprisonnée dans l’écorce de l’arbre, à qui des néréides viennent, avec le flux, chuchoter les histoires de la mer.

C’est par-là que commence le vrai paysage de rivière : deux longues futaies sauvages qui s’opposent, deux sombres côtes, parallèles et droites, toutes les cimes nouées, liées en une seule cime, — l’aspect si spécial à ces bois de Bretagne, qui ressemblent, selon qu’ils vivent à l’abri, ou qu’ils ont poussé dans le vent de mer, à de grands massifs de buis, ou bien à des buissons penchés, obliquement rasés par la tempête. Dans ces profondeurs, quelle riche confusion ! — ombres, clartés, luisants d’or et de verdure, plans suspendus de feuillages, flammes des genêts, terne bronze des fougères, surtout le jaillissement serré des grands pins dans leurs fourreaux de lierre : ce même lierre qui s’accroche en épaisses draperies à la pierre