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extraordinaire. Il faut l’avoir constaté sur place pour s’en faire une idée. Le maréchal apparaît comme l’incarnation de la victoire, l’homme qui a délivré la Belgique du joug allemand. Partout où il se montre, la foule se précipite pour le voir, le toucher. Dès qu’on a su qu’il venait à Spa, toutes les associations militaires belges se proposaient d’organiser en son honneur une gigantesque manifestation. Le maréchal a fait prier les organisateurs de renoncer à leur projet. « Nous sommes ici pour travailler, » a-t-il dit.

Un jour que je déjeune avec lui chez M. Millerand, le maréchal, de très bonne humeur, nous dit que, le matin même, en gare de Pépinster, les voyageurs entouraient, assiégeaient son wagon. « Une petite fille, dit-il, a voulu m’embrasser. J’ai déféré à son désir, mais venaient par derrière une dame d’un certain âge, et à la suite beaucoup d’autres, en nombre menaçant. Je leur ai fait dire alors que je serais par trop ému d’avoir à les embrasser toutes, et je suis rentré précipitamment dans mon wagon. »

Un de nos ambassadeurs raconte cette anecdote : « C’était quelques semaines après l’armistice, lors du premier voyage à fille de M. Clemenceau. A son arrivée à la gare, le matin, de très bonne heure, le préfet vient annoncer au président qu’un certain nombre du dames sont absolument désireuses de le voir.

— Sont-elles vieilles ou jeunes ? demande M. Clemenceau.

— Plutôt entre deux âges, répond le préfet.

Sur quoi M. Clemenceau, d’une voix coupante et péremptoire, s’adressant à son principal collaborateur dont le nom commence par un M… (je laisse à nos lecteurs le soin de deviner si c’est du civil ou du militaire qu’il s’agit) :

— M… lui crie-t-il, embrassez-les ! »

Et M… fut obligé de s’exécuter.

Il se poursuit ici deux séries de négociations. Les unes entre Alliés et Allemands, les autres entre les Alliés eux-mêmes, celles-ci plus importantes encore que celles-là.

La France doit avant tout se mettre d’accord avec l’Angleterre sur le principe, les modalités des sanctions et des garanties. Se mettre d’accord avec l’Angleterre c’est discuter avec M. Lloyd George. Comment est-il disposé à notre égard ? Dans quel état d’esprit est-il venu à Spa ?

Singulière, énigmatique figure que celle de M. Lloyd George !