Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/625

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Pologne ! » est de dire d’abord : « Vive la Russie ! » Silence poli, acquiescements évasifs, mensonges courtois, inexprimable humiliation. Je ne reviendrai pas remâcher ici de la honte et des remords.

Je reviens à l’automne. Des confrères français, des Polonais sont venus à Paris me chercher chez moi : les deux Leblond, ce cher Antoine de Zwan, mon ami Maurice de Coppet, consul général de France à Varsovie. Il s’agit d’inaugurer là-bas un groupe de l’Alliance Française. Le but n’est pas seulement de travailler à l’expansion de notre langue. C’est, sous notre égide amicale, d’aider au rapprochement de la Russie « libérale » et de la Pologne « raisonnable ». Quelle meilleure barrière contre le germanisme menaçant que le ralliement sincère à la Russie d’une Pologne dont elle respecterait l’autonomie ? Pour la Pologne, quelle autre voie vers la reconstitution de sa personnalité nationale ? Vérité trop évidente, dont la méconnaissance pèse tragiquement sur la situation européenne. Comment refuser de travailler à la faire comprendre ? Un Français qui n’est pas un homme politique et ne saurait être suspect de russophobie (j’ai été le chef de cabinet de M. Doumer, ami personnel du tsar) peut prononcer, sans caractère officiel, des paroles utiles, aider à trouver les formules de conciliation :

Me voici, nous sommes en décembre 1910, roulant à travers l’Allemagne oppressante, fumante, affairée, sûre de soi. Berlin, orgueilleux et massif. L’émoi à Posen de découvrir l’Alsace-Lorraine. Ici, comme de l’autre côté, à Strasbourg, on improvise une réunion pour parler français, — à voix basse.— Ici, comme de l’autre côté, la volonté acerbe de résistance, et la fierté de tenir tête. Mais ici aussi, la même angoisse pour le visiteur, à être sûr que, sans le cataclysme que nous nous refusons à envisager, il n’y a à donner que des mots, des mots. Comme on vient de me tracer le tableau de la brutalité germanique, j’en ai un qui est imprudent : « Alors, vous haïssez les Allemands plus que les Russes ? » On me répond : « Nous ne pouvons pas haïr quelqu’un plus que les Allemands, mais au moins ils nous apprennent quelque chose : le travail, l’ordre, la discipline, dont nous nous servons contre eux. Tandis que les Russes… » J’essaye de protester. On se tait poliment. Et puis on parle d’autre chose.

A Alexandrowo, le lamentable, l’odieux passage de la