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civilisés, de mon canton, tant elles semblaient d’une espèce différente et primitive. Même impression, devant elles, qu’à retrouver, du haut de la dune, leur extraordinaire pays. « Retournons en Europe, » me dit un compagnon, comme nous revenions à notre bateau.

Cette humanité n’apparait guère dans la pâle plaine vaporeuse, mais ses gites sont partout : petits logis terrés bas, par lignes qui s’interrompent en irréguliers semis sur toute l’étendue, sans qu’on puisse dire où commencent, où finissent les bourgs : Kerity, Saint-Pierre, Saint-Guénolé, Penmarc’h. On dirait qu’il y en a des milliers, de ces minuscules logis, tous pareils, et tournés dans le même sens, chacun avec ses deux cheminées, qui semblent des cornes, et lui donnent un air un peu sorcier. Une population de petites vieilles, tapies contre la terre, dans la peur du vent, des clameurs, des blanchissants tumultes de l’Océan, des puissances de sabbat que le suroît déchaîne sur cette terre.

Ces puissances, les humains ont essayé de les exorciser. De tous les côtés de la grande pointe, de vieilles chapelles nous présentent le signe de la religion. A l’Ouest, Notre-Dame de la Joie, si seule sur sa grève ; au Sud, Saint-Pierre, et le tout petit sanctuaire des enfants, collé comme un coquillage au pied du vieux phare ; à l’horizon du Nord-Est, perdu là-bas, à la lisière des sables qui descendent jusqu’à la Torche, et loin encore, pourtant, de la vraie campagne, l’oratoire de Tronoën avec son calvaire, le plus vieux de la Bretagne, dont les vents de quatre siècles ont rongé toutes les figures ; du même côté, Saint-Viaud ; à l’Est, Saint-Tromeur ; au Sud-Est, Saint-Nona, dont la façade nous présente, en reliefs presque effacés, de » images de bateaux de pêche au temps de Louis XII. Et au centre, c’est l’épaisse tour inachevée, survivante d’un siècle où Penmarc’h était une vraie ville, riche de la merluche qu’elle péchait et fumait pour toutes les villes de France. Tronquée bas, massive, elle aussi, comme une bigouden, on la voit de partout. Présence énigmatique, au milieu de cette plaine dont elle accroît le caractère étrange.

Le soir, le grand phare s’allume. A mesure que tout s’obscurcit, s’allongent ses deux bras tournants de lumière. La nuit commence, et sous cet astre prodigieux, le fantastique s’accroît. Brèves, régulières, inévitables alternances de