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Un jeune homme en casquette, voyant mon attention, s’est approché de moi.

— C’est curieux quand on vient de la ville. Je suis du pays, mais j’avais pas vu ça depuis dix ans. Ah ! on n’est pas neurasthénique chez les Bigoudens ! Une fière race ! Et les hommes ! ils roulent tous les autres Bretons ; ils tiennent deux fois mieux l’eau-de-vie.


Au long d’une demi-lieue de grève, entre les tapis rouges et bruns de lichen et de goémon qui sèchent et jettent leur odeur d’iode, c’est, vers la chapelle, une file continue de pèlerins, hommes, femmes, enfants, une mince file, comme de fourmis qui traversent tout droit un espace découvert. Nulle autre vie ne remue. Espace immense ici, double étendue de la plaine et de l’Océan, dont ils suivent la frontière. Là-bas, dans les terres, par-delà des plans fauves, le peuple des petites maisons pareilles se déploie : un vague, innombrable semis, dont le demi-cercle suit celui de l’horizon. On dirait une armée muette, tapie contre le sol, qui lèverait un peu la tête pour regarder, guetter de loin, dans la direction de la mer. Toujours cette impression de vie secrète, un peu enchantée, que présentent si souvent en Bretagne les simples choses : un doué au creux d’un ravin, un rocher sur la lande, un buisson noir qui remue sur la vapeur du ciel, un petit arbre que le tourment du vent a penché, hérissé pour toujours. Plus sorcière aujourd’hui que jamais, cette assemblée de bas pignons tournés ensemble vers l’Océan. A travers les voiles de sable et de fumée qui traînent éternellement sur le pays, ils ont vraiment l’air de gnomes, de korrigans.

Vers le très vieux oratoire, — si seul, toute l’année, devant les grandes houles, — au Nord, au Sud, chemine le peuple bigouden : ceux qui viennent de Saint-Guénolé, de Trolimon, et ceux qui viennent de Kérity, de Penmarc’h, de Plomeur, de Plobannalec, l’étrange peuple primitif marié depuis si longtemps à cette terre d’extrême Europe, au bord de l’Atlantique.. Les femmes ont des souliers, comme il convient aux jours de fête, mais elles vont pieds nus, et les portent à la main. Elles les mettront, comme on met ses gants, pour assister à vêpres.

Je suis assis près de la chapelle, au-dessus des galets, à la