Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 58.djvu/762

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Là-bas, sur une trainée de lumière spectrale, Nona lève son écran déchiré ; plus loin, c’est Guermeur et la tour du Menhir que l’on double, lorsqu’après avoir rangé les Etocs, on vient au Nord pour s’en aller chercher le Raz. Nous avons dû allonger le tour, l’an dernier. La brume était venue. A travers les néants gris, la sirène d’Eckmühl, — un monotone mugissement, coupé, toutes les minutes, d’un long et lugubre appel, — annonçait « les dangers. »

En ce moment, on n’entend que des musiquettes d’enfants, si grêles, si perdues, en de tels espaces. Derrière la chapelle, les petits humains mènent leur humble fête. Je les vois. D’ici, de la grève, ce n’est rien : un remuement d’insectes surgis, on ne sait d’où, au bord de l’étendue terrestre. Mais à mesure que l’on approche, que l’on s’y mêle, comme on est pris par la rumeur, par l’épais effluve de vie qui s’en dégage ! Et comme on s’ébahit, encore une fois, de la couleur et de l’étrangeté de cette famille humaine ! Même griserie qu’à plonger et se perdre dans la fourmilière d’un souk marocain ou d’un bazar de l’Inde. L’Inde, surtout, s’évoque ici. Il n’y a que dans ses foules que l’orange et le pur écarlate règnent si audacieusement. Les têtes des marmots, casquées de paillettes, m’évoquent de riches bébés d’Ahmedhabad. Aux gilets, aux plastrons, les splendides soutachures font des cercles d’yeux auxquels ne manque rien que des parcelles de miroir pour rappeler tout à fait les tuniques brodées du Guzerat, — et même, aux broderies des bonnets féminins, ces miroirs enchâssés ne manquent pas. Certains détails et motifs sont d’un style unique, — non seulement l’arrangement si compliqué de la coiffure (les cheveux ramenés en nappe de la nuque couvrant par derrière le bonnet pour aller s’enfermer sous la mitre), — non seulement les deux dépassants de ce bonnet, qui ne ressemblent à rien qu’à deux quartiers d’orange ou de citron, — non seulement la coulée mirifique du ruban qui ruisselle sur toute la parure comme une oriflamme sur une fête, mais le grand retroussis des manches, et, sur leur lustre noir, les diagonales et losanges de leurs splendides liserés. Même bordure au bas des lourdes, ballantes jupes superposées : lignes d’or jaune ou lignes d’or rouge, répétant le ton du plastron ou du béguin. Près d’un groupe de femmes agenouillées sur le gravier, au porche de la chapelle, je me suis arrêté devant