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pour redescendre ; elles tournent, apparaissent de face, et c’est alors, comme dans un intérieur obscur et frémissant de ruche, une lente, cheminante colonne d’abeilles dorées.

Porté par la foule, j’avais fini par atteindre le côté des hommes, quand un remous m’a poussé vers une issue. L’espace ! Je voulais le goûter un peu, m’en aller respirer au bord de la grève, me remplir les yeux des grands vides ! Mais je reste là, arrêté par une espèce de vision. Ce ne sont que des vieux qui sortent, mais ils surgissent de l’ombre, et presque de dessous terre, car autour de la chapelle, le sol, au cours des siècles, s’est exhaussé. Des figures d’un autre âge, comme on en voit aux antiques saints de bois des oratoires bretons, — saint Méen, saint Budoc, saint Herbot, — des figures toutes de raideur primitive, de sérieux farouche et d’innocence, avec de longues chevelures à la Louis XI, des favoris à la Charles X, des lèvres réduites à une fente, des prunelles pâles vissées comme dans un trou. D’où sont-ils venus, ces vieux qu’on ne voit jamais ? Ils font un peu peur. Ils semblent à peine vivants. L’un avance vers moi en se signant d’un grand geste, apparition si étrange que je recule presque. Il est grand, anguleux, vêtu d’un drap noir jauni comme par un séjour souterrain. Un long corps, gelé qui chancelle, comme s’il avait perdu l’habitude de la marche, une tête de travers, la peau séchée au front, au creux des mâchoires ; une tête de mort comme j’en ai regardé de si près, jadis, dans les ossuaires des petites églises bretonnes : petite, ronde, aux os minces, avec de longs restes de cheveux que l’on dirait collés, de jaunâtres étoupes qui vont se détacher si l’on tire… Oui, ces anciens-là, en leurs étonnantes hardes, semblent des cadavres de Bretons d’autrefois surgis de leurs fosses, ressuscités par la cloche de leur chapelle…

On finit de sortir ; les groupes se mêlent. Çà et là, maintenant, sur cette vieillesse et sur ce noir, un groupe de jeunes filles resplendit au soleil qui se découvre, et leur parure est d’un rouge qui effare nos yeux de civilisés. Ah ! la brave couleur, — et comme elle dit la joie ! comme elle veut réjouir ! C’est, le principe de ces parures. Avec l’ingénuité des races archaïques, ces paysans y ont réuni, en harmonies simples et puissantes, tout ce qu’ils pouvaient imaginer pour le régal