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une robe verte et marron à volants, une robe gorge de pigeon, un manteau de velours noir doublé de jaune et bordé de fourrure, plusieurs chapeaux, enfin des choses exquises de goût, où elle excellait. Je fus d’une rare impertinence ; car tout à coup l’histoire de la coiffeuse me revint comme une nausée. Un flot de méchanceté m’inonda et je n’hésitai pas à l’extérioriser. « Pourquoi, dis-je, d’un air naïf, m’avoir privée de la coiffeuse, et me faire un trousseau pour Jeanne beaucoup plus élégant que mes propres robes ? »

Il devait y avoir une certaine logique dans mon raisonnement, car ma famille fut épouvantée. Je n’ai gardé que le souvenir confus d’un brouhaha où surnageaient les mots : ingratitude, caractère impossible, sera très malheureuse dans la vie, etc…

Maintenant que j’ai écrit cela, je me sens vengée.


III. — LE CABINET DE BON PAPA

« Allons, allez-vous en, Mademoiselle Pâquerette, vous m’empêchez de travailler. » Ceci signifiait que j’avais poussé à bout Mlle Eugénie Ménage, la femme de chambre qui cousait, au rez-de-chaussée, dans la petite lingerie, si bien située dans l’enfilade de l’allée ; j’avais fourré ses épingles dans les raies du parquet, cassé ses aiguilles, embrouillé le fil et caché le centimètre ; de plus, j’avais introduit un bout de papier entre le cou et le col de cette innocente fille. Une camarade m’avait joué ce tour détestable, et, comme de juste, je le rendais à une autre.

Me voilà à la porte, que faire ? La cuisine, cette pièce odorante et chaude, chatoyante de reflets de cuivre, m’était interdite ; le vestibule ne me disait rien ; je le savais par cœur ; je connaissais tous les défauts des carreaux noirs et blancs ; dans l’un, on retrouvait vaguement la France, dans un autre la silhouette à toque d’un vieux juge, enfin chacun avait une physionomie particulière et me parlait. Ce jour-là ils étaient muets : j’enfilai l’escalier et j’arrivai fièrement au premier étage où maman corrigeait des épreuves pour bon papa près de bonne maman qui tricotait. Tout alla bien au début. « Eugénie t’a donc renvoyée ? dit maman. — Non répondis-je avec l’accent de vérité que donne parfois le mensonge ; c’est moi qui ai eu assez d’elle ! »

Bonne maman passa ses aiguilles à tricot dans sa fanchon et me conta une histoire ; mais un mauvais génie me poussait, et